Tout le monde est bien d'accord, n'est-ce pas ? L'économie mondiale était trop dépendante des marchés financiers et trop instable. De la crise doit sortir une croissance de plus long terme, entendez un monde où l'industrie, au sens large, retrouve une première place et un monde moins déséquilibré.

On sait ce qu'il est advenu de la finance : elle a retrouvé son rôle d'avant et tous ses profits. Et si on s'oriente quand même vers une régulation plus serrée, la volonté de remettre le génie dans la bouteille a disparu, personne ne prétend plus être en mesure d'empêcher de nouvelles bulles.

Cette semaine est advenu un événement majeur qui conforte ce mauvais pressentiment selon lequel tout recommence comme avant, voire empire parfois. Il s'agit du minerai de fer, cette lourde terre rouge, matrice de la civilisation depuis la nuit des temps. Les deux groupes miniers géants, l'anglo-australien BHP Billiton et le brésilien Vale, se sont entendus pour rompre le système de fixation annuelle des prix du minerai qui prévalait depuis quarante ans et pour imposer une renégociation trimestrielle indexée sur les cours du marché spot. Les sidérurgistes européens et américains ont hurlé, mais les Chinois, si avides de matières premières, et les Japonais ont accepté. Cette décision va dans le sens exactement opposé du souhait post-crise : vers plus d'instabilité et plus de marché financier.

Avant de le détailler, une remarque : aujourd'hui les géants mondiaux ont plus de pouvoir que beaucoup d'Etats. Si, dans cette crise les gouvernements publics ont pris des mesures adéquates et coordonnées qui ont permis d'éviter les erreurs des années 1930, il ne faudrait pas que les gouvernements privés, les directions de ces géants, les remplacent dans l'aveuglement. Ils provoqueraient alors une inflation et/ou un protectionnisme qui nous plongeraient dans la grande dépression. Ce que la main droite a évité, la main gauche y conduirait : les géants, nos entreprises du CAC 40, en ont-elles conscience ?

Première conséquence de la décision de BHP-Vale, le nouveau cartel du minerai de fer : les prix vont grimper immédiatement de 30 à 50 %. Tout l'aval en répercutera les effets en cascade jusqu'aux acheteurs d'automobiles et d'appartements. Les circonstances sont aggravantes puisque BHP Billiton discute actuellement avec le troisième grand minier, Rio Tinto, pour fusionner leurs minerais australiens. Le cas du fer pourrait évidemment donner des idées à d'autres producteurs de matières premières rares ou moins rares mais « cartélisables ». La crise déboucherait-elle sur une floraison de néomonopoles sous l'oeil intéressé de la Chine ? En tout cas : une mèche d'inflation est allumée.

Deuxième conséquence : les sidérurgistes vont logiquement devoir « se couvrir » de la fluctuation des cours du minerai. Les marchés financiers de dérivés que l'on voulait limiter voient au contraire s'ouvrir tout un nouveau filon de constructions spéculatives.

Troisième conséquence : la volatilité des cours, que l'on voulait calmer, se trouve à nouveau encouragée. L'Opep, l'OCDE et l'Agence internationale de l'énergie viennent de se réunir à Mexico pour tenter de trouver les moyens de reprendre le contrôle des prix du pétrole. Sans grand espoir en vérité, puisque les échanges de brut papier sont 35 fois supérieurs au commerce de brut réel, comme l'a calculé le professeur Jean-Marie Chevalier. Avec la crise, la volatilité s'est accrue de plus de moitié dans le pétrole, le gaz, le nickel, le cuivre, le blé, l'argent, le cacao, le sucre, le soja et le palladium, selon Goldman Sachs, qui estime que la seule manière de calmer le jeu est d'accroître les capacités de stockage (1).

Le minerai de fer échappait à ce maelström permanent ; ce ne sera plus le cas. Son prix sera indexé sur les marchés spot, qui jugent de l'état des stocks et des consommations. En clair, les prix vont se caler de plus en plus sur l'économie chinoise. Les pays émergents ont pris le pouvoir, c'est normal et c'est attendu. Mais, et c'est alarmant, cette bascule renforce la volatilité plutôt qu'elle ne la réduit. Qu'importe, pour Pékin, du moment qu'il a son fer. La Chine construit le nouveau monde à son image : les puissants dominent sans aucune autre considération.

 

ÉRIC LE BOUCHER

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