Atlas mondial des matières premières

Tout au long de l’histoire, les matières premières ont constitué un enjeu stratégique. Les épices, l’or, le cuivre, le pétrole et bien d’autres ont tour à tour été des causes de conflits, de rêves d’expansion et de domination. Est-ce dépassé à notre époque friande de dématérialisation et de services au détriment de l’industrie lourde ? A lire l’ouvrage de Bernadette Mérenne-Schoumaker, Professeur émérite de géographie économique à l’Université de Liège, on se rend vite compte qu’il n’en est rien. Cartes et infographies se succèdent à un rythme effréné pour nous rappeler que les matières premières continuent à occuper une place centrale dans la géostratégie des nations.

« Feuilleter ainsi un atlas des matières premières, c’est se plonger dans la réalité d’un monde encore bien loin de toute « fin de l’histoire » que l’on puisse rêver. C’est réfléchir à quelques-uns des défis majeurs auxquels est confrontée l’humanité au XXIème siècle : celui de la rareté des ressources, qu’elles soient minières ou énergétiques, celui de l’environnement (le carbone est aussi une commodité) et surtout -le plus crucial de tous peut-être- celui de nourrir dix milliards d’hommes. » Cet extrait de la préface de Philippe Chalmin, Professeur à l’université Paris-Dauphine et président de Cyclope, traduit bien l’impression que l’on peut avoir au terme de la lecture de l’Atlas mondial des matières premières(1) que Bernadette Mérenne-Schoumakervient de publier aux éditions Autrement : la question des matières premières reste cruciale.

En bon pédagogue, l’auteur commence son livre par une précision d’importance : « les matières premières traitées dans l’ouvrage correspondent aux produits miniers (hors minéraux non métalliques et matériaux de construction), aux produits énergétiques (y compris les agrocarburants), aux produits agricoles et de l’élevage, au bois et aux poissons. » Produits auxquels elle a ajouté l’eau car elle est matière première pour bien des secteurs et surtout parce qu’elle est devenue avec le temps un bien économique. L’objet de l’ouvrage précisé, Bernadette Mérenne commence, dans les deux premiers chapitres, par un « état des lieux ». Métaux, hydrocarbures, céréales ou bois : qui les produit, où, en quelle quantité ? Si cette partie de l’ouvrage est, évidemment, nécessaire, elle n’est pas, à nos yeux, la plus intéressante. Une donnée, cependant, jaillit déjà de cette première partie : à l’exception de la production de céréales et, dans une moindre mesure, de bois, les cartes qui servent à l’illustrer auraient pu ignorer purement et simplement l’Europe, tant nos ressources en matières premières sont inexistantes ou, au mieux, insignifiantes !

Des produits plus stratégiques que jamais

Le chapitre suivant, Bernadette Mérenne le consacre à examiner dans quelle mesure ces matières sont (redevenues) stratégiques. « Si les matières premières ont toujours été au cœur d’enjeux multiples, explique-t-elle, leur surprenant retour à la une de l’actualité est relativement récent : il ne date que des années 2000, à l’exception toutefois des produits énergétiques. La forte croissance de la demande depuis 2000 puis les turbulences sur les prix à partir de 2004 ont remis le sujet à l’actualité. C’est le déséquilibre entre l’offre et la demande lié partiellement à un manque d’investissement de 1980 à 2000 qui explique le renouveau stratégique des matières premières. » L’auteur passe ainsi en revue comment évoluent les différentes demandes –en faisant par ailleurs remarquer qu’elles ne sont pas indépendantes les unes des autres-, la manière dont l’offre peut réagir et montre l’internalisation totale de ces échanges, une conséquence de l’inégale répartition des ressources. Elle termine en s’interrogeant sur la notion de ressources finies et la distinction entre ressource et réserve, tout en décrivant les relations –souvent tendues !- des ressources à l’environnement.

(1) Atlas mondial des matières premières, Bernadette Mérenne-Schoumaker, préface de Philippe Chalmin, cartes réalisées par Claire Levasseur, Paris, Autrement.

Des enjeux économiques majeurs

Le chapitre plus spécifiquement économique de l’ouvrage fait découvrir trois aspects des marchés des matières premières. Le premier est la financiarisation de ces marchés. Depuis quelques années, ils ne fonctionnent plus seulement selon la loi de l’offre et de la demande. « Si la hausse des prix des matières premières découle d’abord d’un déficit de l’offre, les fluctuations, surtout à très court terme, s’expliquent aussi par la présence de plus en plus intense des investisseurs financiers. » Et l’auteur d’ajouter que tous les produits semblent concernés par ce phénomène, même les produits agricoles. Autrement dit, les matières premières sont devenues des recours vers lequel se précipitent les investisseurs en cas de crise, un rôle dévolu auparavant essentiellement à l’or et aux autres métaux et pierres précieuses.

Le deuxième aspect de ces marchés que l’auteur nous fait découvrir est leur organisation : tableaux et cartes montrent quels sont les grands groupes qui sont à la manœuvre, leurs rôles et relations. Le troisième est plus inattendu puisqu’il s’agit d’une éventuelle malédiction liée aux matières premières !« Posséder des ressources naturelles confère en principe un avantage comparatif à un pays, explique Bernadette Mérenne. Or, si certaines économies bien dotées en ressources ont connu un développement rapide, d’autres ont en revanche vu leur situation se détériorer. Certains évoquent une malédiction des matières premières. Celles-ci seraient-elles en définitive un obstacle au développement ? » Cette interrogation vient notamment de ce qu’on a appelé le syndrome hollandais : un grand gisement de gaz est découvert aux Pays-Bas en 1959 ; pourtant, dans les années 70, on constate que les performances économiques de nos voisins sont faibles. Beaucoup en voient la cause dans la « richesse » gazière qui a entraîné salaires, prix et consommation vers le haut, affectant ainsi la compétitivité du pays.

Une gageure géopolitique

Plus importante, la dernière partie de l’ouvrage est une approche géopolitique des matières premières. Son intérêt est évidemment de dépasser les seuls faits rationnels décrits précédemment pour prendre en compte le poids des hommes, leurs valeurs, leurs organisations. L’auteur compare ainsi tout d’abord les stratégies de quatre grands pays –Etats-Unis, Chine, Russie et Brésil, ne cachant d’ailleurs pas son intérêt pour l’Empire du Milieu : « C’est l’un des rares pays avec l’Inde à avoir mis en place une politique cohérente et efficace vis-à-vis des matières premières, intégrant une vision globale du monde ». On renverra à cet égard –sans autres commentaires- à la carte des investissements chinois réalisés en Afrique dans les seules années 2010 et 2011…

Bernadette Mérenne passe ensuite en revue les conflits qui ont été ou sont alimentés par la présence (ou l’absence) de matières premières en tel ou tel endroit avant d’aborder deux défis majeurs du futur : les caractères équitable et durable du développement. Et de conclure : « La prolongation pure et simple des tendances actuelles, tant en termes de surconsommation des matières premières que de dégradation de l’environnement et d’accroissement des inégalités, semble une voie sans issue. » Tout est dit.

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