Malédiction des matières premières : comment la stopper ?
06 sept. 2014La Déclaration de Berne est une ONG suisse. Et elle est taraudée par plusieurs interrogations dont celle-ci : comment expliquer que 300 millions de personnes vivent dans la misère dans des pays riches en matières premières, alors que le minuscule canton de Zoug, enSuisse alémanique, croule sous les milliards de francs suisses* (1 Franc suisse = 0.8291) ? Faut-il le préciser ? En dehors de son lac et de la curiosité architecturale de son centre-ville, Zoug ne dispose d'aucune ressource naturelle. La réponse ? Ben, grâce à d'invraisemblables manipulations comptables tolérées par la communauté internationale.
L'utilisation de tours de passe-passe d'une grande ingéniosité
Comment ça se passe ? La société, qui exploite des matières premières au Congo ou en Zambie, prétend ne réaliser que des pertes. Du coup, elle s'abstient de payer des impôts. Derrière, elle revend sa production à l'une de ses filiales enregistrée dans un paradis fiscal caribéen. Celle-ci fourgue la marchandise à une autre société du groupe. Celle-ci est en Suisse dans des cantons à la fiscalité particulièrement douce, comme Zoug. Résultat, des entreprises inconnues du grand public, comme Glencore, Trafigura ou Vitol, peuvent réaliser des chiffres d'affaires supérieurs à ceux de Nestlé. C'est dire... Alors que la Suisse est surtout connue pour ses banques, elle est aussi devenue le numéro 1 mondial du négoce des matières premières dont elle s'adjuge 20% du marché mondial. Elle devance donc Londres, ce qui n'est pas rien.
Le procureur Dick Marty, un allié précieux de La Déclaration de Berne
Comparé à un trader, un banquier passe pour un incorrigible bavard. Discrètement, un demi-millier de sociétés installées à Genève, Lausanne et Zoug brasse des milliards de francs suisses, sans le moindre contrôle. La Déclaration de Berne, une ONG suisse très active dans la lutte contre les inégalités, vient de réclamer la création d'une autorité pour réguler le secteur suisse des matières premières. Cette autorité, baptisée Rohma, pour Rohstoffmarketausfsicht Schweiz, est calquée sur l'autorité suisse de surveillance des marchés financiers, la Finma.
Pure utopie? Pas tout à fait. L'ancien procureur Dick Marty, rappelle dans le quotidien suisse Le Temps, "Sur le secret bancaire, je disais déjà comme jeune procureur qu'il fallait faire attention aux milliards qui entraient en Suisse, car cet argent n'était pas toujours propre. On m'accusait à l'époque d'être un traître à la patrie". Dick Marty est le parrain de la Rohma, qui compte également parmi ses membres Mark Pieth, spécialiste de la lutte anti-corruption et professeur de droit pénal, et Monika Roth, experte en compliance et professeure en droit des marchés financiers.
Sa volonté d'assainissement n''emporte pas l'adhésion des négociants
Un beau cocktail de compétences accompagne donc l'ONG suisse La Déclaration de Berne. Dans un communiqué, celle-ci affirme que les pays riches en ressources naturelles "souffrent d'une corruption endémique, d'inégalités persistantes et de conflits", et que la Suisse, principale mondiale du négoce, "contribue de manière significative à la malédiction des ressources". Selon cette ONG, une réglementation "ne dérangera que les sociétés qui ne se comportent pas bien et renforcera celles qui agissent correctement, dans l'intérêt de notre économie et de notre pays". En clair, mieux vaut réguler le négoce des matières premières, plutôt que d'attendre et d'être contraint d'agir sous la pression de l'étranger. À l'image des banques suisses forcées aujourd'hui d'abandonner le secret bancaire sous les coups de boutoir de la justice américaine.
Dans La Tribune de Genève, Stéphane Graber, secrétaire général de l'Association des négociants de Genève (GTSA) répond que ce projet n'a rien de neuf et qu'il "illustrerait même une méconnaissance de la part de La Déclaration de Berne des réglementations existant dans le secteur du négoce des matières premières". Il avance que d'"ajouter une couche administrative supplémentaire ne règlera pas l'origine des problèmes touchant nos métiers et qui se situent majoritairement dans certains pays sous la forme de problèmes de gouvernance, de trafics locaux ou de conflits internes".
C'est nier que s'il existe incontestablement de la corruption dans le tiers-monde, la responsabilité de la création de ces sociétés financières bidons relève bien de la complicité de la finance occidentale.
source le point.fr