En dix ans, les hévéaculteurs locaux ont vu leurs revenus divisés par dix. La faute à la surproduction mondiale mais aussi, disent-ils, aux taxes prélevées par l’Etat.

« On ne s’y retrouve plus, on n’a rien ! », s’écrie un planteur d’hévéa en Côte d’Ivoire, premier producteur africain de caoutchouc. En dix ans, les hévéaculteurs locaux ont vu leurs revenus divisés par cinq, victimes d’une surproduction mondiale. Les producteurs et l’Association des professionnels du caoutchouc naturel (Apromac), qui chapeaute les organisations du secteur, dénoncent aussi les taxes prélevées par l’Etat.

La Côte d’Ivoire produit 60 % du caoutchouc d’Afrique et pointe au septième rang mondial. Après 468 000 tonnes en 2016 et 603 000 tonnes en 2017, les prévisions tablent sur 720 000 tonnes en 2018 et sur une hausse de 20 % sur les trois prochaines années. Mais malgré la hausse de la production, les revenus individuels baissent.

Plus rentable que le cacao

L’histoire du caoutchouc ivoirien commence par une défaite : celle de la France à Dien Bien Phu, en 1954. Avec cette débâcle, la puissance coloniale française perd l’Indochine et les immenses plantations de caoutchouc destiné au fabricant de pneus Michelin. Les grains d’hévéa sont alors introduits en Côte d’Ivoire, mais la production du latex restera insignifiante avant de grimper en flèche à partir de 2009, grâce à un ambitieux plan financé par le Fonds de développement de l’hévéaculture, d’un montant de 26 milliards de francs CFA (environ 40 millions d’euros) sur neuf ans.

Cet appui au secteur a permis, de 2009 à 2018, la création de 110 000 hectares de plantations nouvelles, l’ouverture de pistes rurales et la formation aux métiers de l’hévéa, notamment les « saigneurs » dont le travail très minutieux consiste à entailler les arbres pour faire couler la sève blanche récupérée dans des tasses attachées au tronc. Les planteurs ivoiriens ont alors surfé sur un prix du caoutchouc qui avait atteint 5 000 dollars la tonne sur le marché mondial.

Le cacao, trésor de la Côte d’Ivoire – dont elle est le premier producteur mondial –, en fait alors les frais. Même dans les régions où il régnait en maître (ouest et est), des agriculteurs, gagnés par la fièvre du caoutchouc, arrachent leurs vieux plants pour se mettre à l’hévéa. L’hévéa produit dix mois sur douze et « générait alors des revenus mensuels consistants, contrairement au cacao qui ne fait que deux récoltes par an », se souvient Justin Okingni, un producteur.

Mais le succès vire au cauchemar en 2011. « Aujourd’hui, on est à peine à 1 000 dollars la tonne », déplore le président de l’Apromac, Eugène Kremien, un ancien fonctionnaire qui s’est converti à l’hévéa il y a trente-cinq ans et qui est propriétaire d’une unité industrielle.

Taxe sur le chiffre d’affaires

Malheureusement pour les 160 000 producteurs de caoutchouc ivoiriens, les prix sont fixés par la bourse du caoutchouc de Singapour, siège du groupe Olam, un des géants du secteur qui a des plantations partout à travers le monde et notamment en Côte d’Ivoire. L’arrivée à maturité de 100 000 hectares de plantations en Malaisie, qui produit près de 90 % du caoutchouc mondial, a fortement perturbé le marché : la production mondiale est passée en trois ans de 9 millions à 13 millions de tonnes en 2017, alors que la demande n’a pas suivi.

A Alépé, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, des planteurs qui avaient arraché leurs plants de cacao pour le latex sont découragés. « Etre planteur d’hévéa est devenu synonyme de pauvreté », déplore, la mine défaite, Herbert Adou Bokpet, dans sa plantation de dix hectares.

Magloire Mambo, un autre hévéaculteur, accuse l’Etat : « Le planteur d’hévéa s’appauvrit à cause des taxes », dit-il. En 2011, le gouvernement a institué une taxe supplémentaire de 5 % sur le chiffre d’affaires. « Généralement on ne taxe pas le chiffre d’affaires, on taxe les bénéfices », explique Eugène Kremien, dénonçant une décision qui a « siphonné la trésorerie des usiniers et bloqué leur capacité de transformation ».

La capacité d’usinage du pays – capable d’une transformation semi-finie de 100 % de la production – peine à absorber toute la production nationale depuis la mise en place de cette taxe. L’Apromac exige donc sa suppression et demande des exonérations fiscales sur l’importation des outils industriels pour réaliser un rêve : « Fabriquer des pneus made in Côte d’Ivoire d’ici à 2025 ».

Le Monde Afrique

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