L'Inde renforce chaque jour un peu plus ses liens avec le continent africain. Le deuxième sommet Afrique-Inde, qui se tient du 20 au 25 mai à Addis-Abeba, est une nouvelle occasion de le démontrer. Enquête sur un partenariat « équitable »… Mais non dénué d’intérêts.

« C’est le partenariat préféré des responsables afri­­cains », disait récemment le Gabonais Jean Ping, président de l’Union africaine (UA), évoquant les liens économiques que le continent est en train de nouer, ou plutôt de renouer, avec l’Inde. Car les relations indo-africaines remontent aux temps anciens, notamment à l’époque de la fameuse route de la soie ou lorsque les voiliers indiens traversaient régulièrement la mer d’Oman pour aller approvisionner en épices et en bijouteries diverses le puissant royaume d’Aksoum.

Plus tard, au XVIe siècle, quand les Portugais tentèrent d’introduire dans les régions côtières des perles de verre de fabrication européenne, ils manquèrent de justesse de se faire jeter à la mer tant les Africains s’étaient entichés des écrins de perle « made in India » vulgarisés par les marins venus de la côte de Malabar. Les échanges entre les deux régions se sont ensuite intensifiés, avec l’arrivée massive en Afrique des manœuvres, puis des boutiquiers indiens dont les petits- et arrière-petits-enfants constituent aujourd’hui, notamment au Kenya et en Afrique du Sud, une diaspora dense, forte de plus de 2 millions d’âmes. Lors du deuxième sommet Afrique-Inde, qui se tient du 20 au 25 mai à Addis-Abeba, siège de l’UA (Éthiopie), il sera sans doute beaucoup question de ce riche passé, mais surtout des liens étroits et « mutuellement bénéfiques » que les entrepreneurs et commerçants de l’Inde moderne sont en train d’établir avec leurs homologues africains.

Solidarité Sud-Sud

En effet, après avoir stagné pendant plusieurs décennies, les relations économiques indo-africaines sont de nouveau sur une pente ascendante. En témoigne la hausse phénoménale des échanges commerciaux bilatéraux, passés de 967 millions de dollars en 1991 à 51 milliards de dollars (38,5 milliards d’euros) en 2010. Parallèlement, les investissements indiens – entre 30 milliards et 50 milliards de dollars – se sont diversifiés, et ne se limitent plus aux pays anglophones de l’Afrique de l’Est et aux États riverains de l’océan Indien, partenaires traditionnels de New Delhi. Ils touchent aujourd’hui l’ensemble du continent, de Dakar, où le géant de l’agroalimentaire Iffco est entré au capital des Industries chimiques du Sénégal (ICS), à Abidjan, où les bus Tata ont fait leur apparition. Cette offensive se déploie dans le cadre d’une politique affichée de solidarité Sud-Sud, fondée sur le développement local et les transferts de technologies

Un idéal gandhien

Cette collaboration accrue puise en partie son inspiration dans les propos de Gandhi, père de la nation indienne, qui avait débuté sa carrière politique en Afrique du Sud avant de venir prendre la tête de la résistance populaire contre les occupants anglais : « Le commerce entre l’Inde et l’Afrique consistera à échanger des idées et des services, et non des biens de consommation contre des matières premières, comme cela se passait avec les Occidentaux colonialistes. »

« Coopération équitable », « renforcement des capacités », « développement durable »… Autant de formules que martèlent les héritiers de Gandhi pour se démarquer des Occidentaux mais aussi des Chinois – surtout soucieux de sécuriser leurs approvisionnements en matières premières – qui les ont précédés en Afrique avec la vigueur que l’on sait. Les projets inscrits dans le Joint Action Plan établi par New Delhi dans la perspective du sommet d’Addis-Abeba font écho à cet idéal gandhien.

Ce plan d’action prévoit la création d’une Bourse d’affaires panafricaine et d’établissements d’enseignement supérieur. Financées par les Indiens, ces grandes écoles, dont certaines vont ouvrir leurs portes dès cette année au Burundi et en Ouganda, proposeront des enseignements de haut niveau dans des domaines aussi variés que le management, la planification de l’enseignement supérieur et les technologies de l’informatique. Des instituts professionnels formeront pour leur part les jeunes adultes à un métier, par exemple celui de joailler-diamantaire à l’India-Africa Diamond Institute qui s’établira au Botswana d’ici à deux ans – neuf autres suivront.

L’Inde développe aussi depuis 2004 le Pan-African e-Network, qui sera étendu à terme à tous les pays africains. Ce réseau électronique, qui relie les grandes villes d’Afrique aux universités et aux hôpitaux ultraspécialisés du sous-continent indien, s’inscrit dans un projet de télémédecine et de télé-enseignement. Last but not least, des pourparlers sont en cours entre l’UA et le gouvernement indien pour la création d’une Silicon Valley africaine. Ce projet, dont la localisation n’a pas encore été déterminée, vise à promouvoir la recherche et la création dans le domaine des hautes technologies.

Matières premières

Il serait toutefois erroné de croire que ces initiatives, pour originales qu’elles soient, sont totalement désintéressées. Tout comme la Chine, l’Inde s’intéresse de près au marché africain des matières premières. « Il ne faut pas se leurrer, affirme Olivier Guillard, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris, à Paris). La priorité des Indiens, c’est d’abord l’approvisionnement en énergie et en ressources minérales, dont le pays a besoin pour soutenir son industrialisation. » Avec tous les petits arrangements clientélistes et affairistes que ce genre de deals suppose. New Delhi a ainsi signé des accords de collaboration avec des pays producteurs pour l’importation de charbon, d’uranium et plus particulièrement de pétrole.

Avec une croissance économique moyenne de 8 % sur la décennie écoulée, le pays a vu ses besoins en énergie monter en flèche. Obligé d’importer jusqu’à 80 % de son pétrole, il doit sécuriser ses sources d’approvisionnement en les diversifiant. Au cours des dix dernières années, New Delhi s’est donc tourné vers l’Afrique et l’Amérique latine afin de réduire sa dépendance à l’égard du Moyen-Orient, qui demeure aujourd’hui encore sa principale source d’importations (66 %).

Aussi n’est-ce pas un hasard si, en 2007, Abuja a reçu la première visite en Afrique d’un Premier ministre indien – Manmohan Singh – depuis le déplacement de Nehru en 1962 : le Nigeria est le principal fournisseur africain en brut (11 %) de l’Inde. Juste derrière, le Soudan lui livre annuellement 3,2 millions de tonnes de brut, en échange d’une participation indienne (25 %) au capital de Greater Nile Petroleum Operating Company. New Delhi convoite également les gisements pétrolifères de l’Angola, de l’Ouganda et du Ghana. Pour financer les acquisitions de la société publique Oil and Natural Gas Company (ONGC) dans ces pays, le gouvernement indien vient de créer un fonds souverain qui lui permettra d’être à égalité avec ses concurrents.

Le privé à l'offensive

L’argent est en effet le nerf de la guerre qui oppose l’Inde à son principal concurrent sur le continent : la Chine. Fort de ses 2 400 milliards de dollars de réserves de change, Pékin rafle la mise. Les investissements chinois en Afrique s’élevaient à 60 milliards de dollars en 2008, soit le double de l’Inde la même année. Face à ce rouleau compresseur, l’atout du sous-continent est son secteur privé particulièrement dynamique, qui n’a pas attendu des initiatives gouvernementales pour se lancer. « La plus grande différence entre les politiques africaines de la Chine et de l’Inde réside dans la nature de leurs stratégies respectives en matière d’investissement. L’engagement de la Chine est une affaire d’État, tandis que c’est le secteur privé qui est à l’avant-garde dans le cas indien », explique le politologue indien Raja Mohan dans les colonnes du quotidien The Indian Express.

Les entreprises indiennes ont pris d’assaut quasiment tous les grands secteurs de l’économie africaine, des matières premières à l’industrie automobile, en passant par les infrastructures, la téléphonie, l’industrie pharmaceutique ou encore les produits de soins et de beauté. Certaines le font depuis très longtemps, comme le groupe Tata, qui s’est implanté dans les années 1960 : les investissements de ce conglomérat concernent onze pays, dont l’Afrique du Sud, où Tata Steel a construit une fonderie de ferrochrome ultramoderne, dotée d’une capacité de production annuelle de 130 000 t ; et en Ouganda, où tous les autobus sont de marque Tata, le nom du groupe a même fini par devenir synonyme du véhicule en question.

Mahindra & Mahindra, l’autre grand du secteur des transports en Inde, commence lui aussi à se faire connaître du public africain grâce à ses véhicules utilitaires et ses tracteurs, qu’il fait fabriquer dans son entreprise sud-africaine flambant neuve. Le groupe ambitionne de vendre sur le marché africain 45 000 véhicules d’ici à 2015. Enfin, dans le secteur pharmaceutique, Cipla, le géant du médicament générique, s’est fait une place de choix sur le continent, notamment auprès des personnes séropositives grâce à ses antirétroviraux vendus bien moins cher que ceux des compagnies occidentales. Le laboratoire a récemment ouvert une unité de production en Afrique du Sud.

Le dynamisme des privés indiens s’est traduit, au cours des dernières années, par une frénésie d’acquisitions et de prises de participation en Afrique – 80 depuis 2005, pour un montant de 16 milliards de dollars, selon les chiffres de l’agence Bloomberg. Parmi les plus spectaculaires figure bien sûr le rachat des actifs subsahariens de l’opérateur mobile Zain par le géant indien Bharti Airtel.

Pas de doute, l’Inde est à l’offensive sur le continent. Le premier sommet Inde-Afrique, en 2008, avait consacré cet état de fait. Une manière aussi d’étendre une diplomatie d’influence pour conquérir le Graal : un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Et rejoindre au sein de ce cénacle des grandes puissances le voisin chinois.



Source : www.jeuneafrique.com

 

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