La hausse des matières premières, liée à la reprise qui s'amorce, va permettre à l'Afrique de renouer avec une croissance plus soutenue dès 2010.

C'est une première. Dans le rapport "Doing Business 2010" de la Banque mondiale, le Rwanda s'est vu décerner la palme du pays le plus réformateur de la planète en matière de réglementations visant à faciliter la pratique des affaires - protection des investissements, encouragements au commerce transfrontalier, facilités d'accès au crédit, autant de nouvelles garanties pour les entreprises. Et, sur le continent africain, il n'est pas le seul dans ce cas : pour les experts de Washington, le Liberia appartient aussi au club des dix pays les plus réformateurs de l'année. Signe que la crise économique et financière qui a frappé le monde entier n'a pas complètement anéanti les efforts de modernisation et de meilleure gestion publique déployés par de nombreux pays d'Afrique ces dernières années.

Autre signe encourageant : c'est peut-être la première fois depuis la fin de la décolonisation que le continent noir résiste aussi bien à une déflagration mondiale d'une telle violence. Malgré une chute simultanée des prix des matières premières, des flux d'investissements étrangers et des rapatriements de capitaux des migrants, qui pèsent autant que l'aide publique au développement, l'activité a tout de même progressé de 2 % en 2009, après une décennie de croissance à près de 5 ou 6 % l'an. Pas de quoi pavoiser, bien sûr. L'Afrique a besoin d'une croissance autrement forte pour répondre aux défis posés par la pauvreté, la santé, l'énergie et la démographie.

Mais il s'agit d'un coup de frein plus que d'un coup d'arrêt. "Cette fois, l'Afrique a des outils pour résister", estime Jean-Marc Gravellini, directeur de département à l'Agence française de développement. Les grands équilibres économiques sont plutôt bons : une dette fortement réduite, des déficits budgétaires en baisse, des échanges commerciaux à l'équilibre et une inflation maîtrisée. Forts de ces marges de man?uvre, certains pays ont pu engager des plans de relance en finançant de nouvelles infrastructures. "Autoroute urbaine à Dakar, au Sénégal, centrales hydrauliques au Cameroun, aéroport et énergies renouvelables au Kenya, transports en Afrique du Sud, énergie au Mozambique", égrène Jean-Marc Gravellini. Des dépenses utiles, même si l'on est très loin de ce qui s'imposerait dans un continent doté des infrastructures les plus archaïques du monde.

"Leur état déplorable freine la croissance économique de 2 % chaque année et ampute jusqu'à 40 % de la productivité des entreprises, estime la Banque mondiale dans un récent rapport. Une véritable remise à niveau exigerait 93 milliards de dollars par an sur les dix prochaines années." Pour compenser les défaillances du transport physique, beaucoup de pays misent sur la téléphonie mobile et sur Internet. Le premier câble de fibre optique reliant l'Afrique australe et orientale à l'Europe et à l'Asie, via la mer Rouge, l'Egypte et la Méditerranée, a ainsi été inauguré en août dernier.

Les projets miniers rentables se multiplient

"Une dynamique s'est mise en place, assure Alexandre Vilgrain, président du Comité français des investisseurs en Afrique et PDG du Groupe Somdiaa. Elle semble assez solide pour perdurer." Dès 2010, la croissance devrait réaccélérer sensiblement. "Grâce à la reprise dans le reste du monde et à la hausse des prix des matières premières qu'elle commence à provoquer", plaide Habib Ouane, directeur du département Afrique de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Car l'Afrique, faut-il le rappeler, regorge de matières premières : or et minerai de fer en Afrique de l'Ouest, cuivre, émeraudes et cobalt en République démocratique du Congo et en Zambie, platine en Afrique du Sud et au Zimbabwe, etc.

"Ces ressources naturelles constituent un atout considérable pour le continent. Leurs prix vont augmenter, c'est inéluctable, et plus les projets seront rentables, plus il y aura d'investissements, donc des emplois, des routes, des ports, des aéroports", avance Jean-Marc Gravellini. Si les Français sont à la traîne dans ce domaine, les pays émergents, Chine en tête, placent leurs pions. Après l'engagement de fournir à l'Afrique 10 milliards de dollars en prêts bonifiés, pris lors du forum Chine-Afrique de Charm el-Cheikh, en Egypte, début novembre, la Chine va miser 8 milliards de dollars sur un Zimbabwe en convalescence depuis la "dollarisation" de son économie, en avril. Et le deuxième sommet Afrique-Amérique du Sud, réuni au Venezuela en septembre, a tenu ses promesses. Caracas y a annoncé sa volonté de s'associer à la Mauritanie, au Mali, au Niger, à la Sierra Leone, à l'Afrique du Sud, à l'Angola et à la Tanzanie pour créer des entreprises mixtes dans le secteur extractif. "Les projets miniers rentables se multiplient. Par exemple, les coûts de production les plus élevés d'Afrique pour l'or avoisinent les 500 dollars l'once, quand cette même once d'or en vaut 1 200 sur les marchés mondiaux", explique Nicolas Clavel, financier suisse, fondateur du fonds d'investissement Scipion Capital, qui vient de lancer un fonds minier.

En quête de stabilité politique

L'optimisme prévaut pour cette Afrique riche en opportunités. Mais gare aux vieux démons. Parmi eux, les mauvaises habitudes politiques ne sont pas les moins dangereuses, comme en témoignent les dérives constatées au Gabon après la mort d'Omar Bongo, en Guinée, au Tchad ou en République démocratique du Congo. "Au-delà de la politique, c'est avant tout de stabilité que l'Afrique a besoin, explique Philippe Hugon, professeur d'économie à l'université Paris X-Nanterre. Il faut éviter les chocs, que ce soit au niveau des budgets des Etats ou à celui des prix des biens de première nécessité. Si les ménages et les entreprises n'arrivent pas à allonger leur champ de vision, tout le monde continuera à multiplier les petits business au lieu de chercher à développer une PME dans laquelle il faut investir." Il y a encore du chemin à parcourir pour en arriver là.

Retour à l'accueil