Afrique subsaharienne : vers un endettement plus soutenable ?
24 avr. 2013Cet article est reposté depuis Le blog Supply Chain de Patrick MIREBEAU.
L’endettement de l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui au plus bas depuis 30 ans. La situation contraste avec celle qui prévalait au milieu des années 90. A cette époque, l’endettement d’un certain nombre de pays était devenu tellement insoutenable qu’il compromettait à la fois leur croissance et leurs capacités à lutter contre la pauvreté.
Pour répondre à cette situation, la communauté des bailleurs a lancé en 1996 la plus grande campagne d’annulation de la dette jamais réalisée, appelée Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (Initiative PPTE). L’objectif était de réduire à un niveau soutenable le poids de la dette extérieure de trente neuf pays. Parmi eux, trente trois pays en Afrique subsaharienne. Cette initiative a été emblématique à plus d’un titre : pour la première fois, des institutions multilatérales comme le FMI ou la Banque mondiale ont procédé elles-aussi à des annulations de leurs créances. De leur côté, les pays ont mis en œuvre un certain nombre de réformes et des programmes de lutte contre la pauvreté. Emblématique enfin par les volumes en jeux : au total, 120 milliards de dollars ont été annulés et ont permis de réduire de 90% la dette extérieure publique de ces pays, qui est passée de 140 à 15 milliards de dollars. Un autre facteur permet d’expliquer la baisse des ratios d’endettement des pays africains : ceux-ci bénéficient dans leur ensemble depuis une dizaine d’années d’une phase de forte croissance quasi ininterrompue. Avec plus de 5% en moyenne, le continent est la deuxième zone géographique la plus dynamique après l’Asie émergente.
Divisée par quatre depuis 1994, la dette publique extérieure de l’Afrique subsaharienne représente aujourd’hui 20% du revenu national brut du continent et a rejoint la moyenne des pays en développement. Le service de la dette externe a été divisé par trois et représente moins de 5% des exportations de biens et services. Le desserrement de la contrainte financière et les marges de manœuvre budgétaires ainsi dégagées ont permis à ces pays d’augmenter, entre autres, leurs dépenses sociales et leurs dépenses d’investissement.
En parallèle de cet épisode d’annulations massives de dettes, il était devenu nécessaire de prévenir un ré-endettement excessif des pays à faible revenu. La communauté internationale des bailleurs a mis en place un cadre appelé cadre de viabilité de la dette destiné à responsabiliser les pays emprunteurs et leurs créanciers. Cette logique de discipline commune dans le recours à l’endettement souverain s’articule autour de plusieurs principes. D’abord, une classification des pays en trois catégories de risque de surendettement. En fonction des projections sur longue période des ratios d’endettement, les pays sont classés en risque faible (pays dits « verts »), modéré (pays « jaunes ») ou élevé (« pays rouges »). Ces niveaux de risque vont conditionner dans une large mesure les modalités d’intervention des bailleurs multilatéraux et bilatéraux. Un autre principe important est que les prêts aux Etats doivent répondre à des exigences de concessionnalité : en d’autres termes, ils doivent se faire à des conditions financières, notamment en termes de taux d’intérêt, très favorables. Sur les trente-neuf pays classés selon la méthodologie décrite, treize ont un risque de surendettement faible, quatorze ont un risque modéré et douze un risque élevé.
Sur les vingt-neuf pays africains ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE, dix-sept sont malgré tout classés en risque élevé ou modéré. En effet, même réduits, les niveaux de dette doivent être mis en regard des capacités de remboursement – souvent limitées – des pays. Une dette même modérée, de 40 ou 50% du PIB, peut être difficile à rembourser pour des pays ayant des bases économiques étroites ou des recettes budgétaires comprises entre 10 et 20% du PIB comme c’est souvent le cas en Afrique.
Dès lors, quel rythme d’endettement soutenable pour les pays africains aujourd’hui confrontés à des défis gigantesques ? Les besoins d’investissement des économies africaines n’ont en effet jamais été aussi importants. La Banque mondiale estime à 93 milliards de dollars par an sur la prochaine décennie les besoins pour financer la seule mise à niveau des infrastructures du continent. Des investissements indispensables pour renforcer la compétitivité des économies et diversifier les économies, tout simplement accélérer la croissance d’un continent dont la population aura doublé d’ici 2050 et qui comptera près de 2 milliards d’habitants. Sans compter que les gouvernements doivent également garantir un accès durable de ces populations aux services de base comme la santé ou l’éducation. A cela s’ajoute, pour certains pays en Afrique de l’Est ou au Ghana par exemple, le défi de la gestion de découvertes récentes et parfois considérables de ressources naturelles (pétrole, gaz, charbon, ressources minières). Au Mozambique par exemple, les exportations de ces ressources ou les investissements nécessaires pour les exploiter vont représenter plusieurs fois le PIB du pays. Car la maximisation des retombées sur l’économie réelle ne pourra se faire sans participation et efforts financiers substantiels de l’Etat pour mettre en place les politiques publiques nécessaires pour relever les défis économiques, sociaux et institutionnels.
On le voit, les autorités africaines vont devoir concilier investissements massifs et préservation des équilibres budgétaires. D’autant plus que la croissance du continent a tendance à inciter bailleurs et emprunteurs à l’optimisme et attire des flux importants de financements étrangers. Certes, ce dynamisme est réel et l’on constate des tendances économiques très encourageantes pour le continent africain. Citons notamment l’émergence d’une classe moyenne, la bonne résistance pour l’instant aux turbulences économiques mondiales, le dynamisme de la demande intérieure dans certains pays. Il n’en demeure pas moins que ces économies restent pour la plupart insuffisamment diversifiées et caractérisées par une vulnérabilité au retournement des cours ou une brusque chute des recettes d’exportations. De plus, la littérature montre que, pour les pays ayant enregistré une crise de la dette, la probabilité de connaitre un nouveau défaut est relativement forte.
A cet égard, l’aide au développement, en apportant des ressources à des conditions favorables pour financer des investissements structurants, permet de préserver la soutenabilité de l’endettement tout en réduisant les vulnérabilités des économies de ces pays.
La question de la soutenabilité de l’endettement des pays d’Afrique subsaharienne fait aujourd’hui plus que jamais le quotidien des bailleurs de fonds et des pays emprunteurs. La prudence doit rester de mise. D’abord parce que la situation budgétaire des pays créanciers ne permettrait pas un nouvel épisode d’annulation massive de créances. Mais surtout parce qu’une nouvelle crise de la dette saperait, pour de longues années, les dynamiques porteuses d’espoirs à l’œuvre sur le continent. Elle hypothéquerait pour longtemps les capacités des États à mettre en œuvre des politiques publiques favorisant une croissance durable, et surtout davantage redistributrice qu’elle ne l’a été jusqu’à présent.