La Commission a changé son fusil d’épaule. En présentant, mercredi 2 février, sa communication sur les produits de base et les matières premières, Bruxelles reconnaît le lien entre la spéculation et la volatilité des prix. «Il est clair qu’il y une corrélation forte entre les positions prises sur les marchés dérivés et les prix des matières premières elles-mêmes», est-il écrit.


Cette position va à l’encontre des affirmations précédentes de la Commission européenne. Une version antérieure du texte, qu’EurActiv.fr s’était procurée, affirmait: «Il n’y a pas de preuve concluante d’une causalité entre la spéculation et les marchés dérivés [d'une part], et l’augmentation de la volatilité sur les marchés physiques [d'autre part].» Cette phrase avait déclenché la polémique entre Paris et Bruxelles. Elle a finalement disparu de la version finale.
 Mais le sujet n’est pas aussi consensuel qu’il y paraît. Le président français, Nicolas Sarkozy a fait de la régulation des marchés l’une des priorités de la présidence française du G20. Il propose par exemple la création d’une base de données, commune à tous les pays, pour connaître l’état des stocks de matières premières disponibles. Selon lui, cet outil fait actuellement cruellement défaut.


 Panique sur les marchés
 «Une base de données serait une très bonne chose», juge Johanne Buba, co-auteur, avec Maxime Liegey, d’une note sur la volatilité du prix des matières premières, publiée par le Centre d’analyse stratégique. Mais elle admet que la mise en œuvre sera «compliquée». «Sur les productions agricoles, il est très délicat d’avoir des données précises», affirme-t-elle. La Chine, par exemple, pourtant l’un des plus grands producteurs mondiaux de blé, a pour habitude de ne rien dire de ses réserves.


 C’est l’une des raisons pour lesquelles Michel Portier, président d’Agritel, une société spécialisée dans la gestion des risques agricoles, doute fortement de l’utilité de cet outil. «Ce n’est pas parce que l’on va créer une telle base que la Chine va nous communiquer ses données», estime-t-il. Selon lui, la transparence de Pékin sur l’état de ses stocks pourrait entraîner au contraire un mouvement de panique sur les marchés. «Si la Chine dit qu’elle a besoin d’importer, elle met le feu aux marchés», résume-t-il.


 La France souhaite aussi accentuer la régulation des marchés dérivés de matières premières, qui permettent à des opérateurs de couvrir les risques pris par leurs investissements sur les marchés physiques. L’une des solutions consiste à limiter le nombre de contrats pouvant être conclu par chaque opérateur sur les marchés secondaires. «Ces limitations sont une solution possible, juge Johanne Buba, mais il faut bien définir le type d’opérateurs qui est visé.»


 Bons et mauvais spéculateurs
 «La plus grande libéralisation, qui semble être impulsée par la future politique agricole commune, entraînera un recours accru aux marchés dérivés. Les producteurs utiliseront de plus en plus cet outil pour se couvrir», prédit Maxime Liegey.
 La difficulté est de distinguer les "bons" spéculateurs, qui apportent de la liquidité sur les marchés, des "mauvais", qui ne font que tirer des bénéfices, estiment de nombreux experts. «La spéculation est une notion difficile à définir», précise Maxime Liegey.


 Mais l’opacité la plus préoccupante, selon les observateurs, concerne l’activité des marchés «de gré à gré». Les transactions s’y concluent directement entre l’acheteur et le vendeur, d’un commun accord, en toute discrétion. «Le volume des transactions faites sur les marchés de gré à gré est sans commune mesure avec celui des marchés à terme», affirme Michel Portier.


« Vivre avec la volatilité »
 Autre solution pour réguler la volatilité: la constitution de stocks régionaux. «Pour éviter les a-coups, il faut aider les pays importateurs à financer des stocks de réserve chez eux», dit Michel Portier. Mais cette politique publique coûte cher, affirme Johanne Buba. Et elle demande de la coordination au niveau régional.


 Les experts s’accordent au moins sur un point: la volatilité des marchés de matières premières est structurelle. "Il va falloir vivre avec", affirme Michel Portier. «On a une offre et une demande rigides, amplifiées par des phénomènes de croissance économique, ainsi que des chocs climatiques et l’influence des marchés financiers», résume Johanne Buba.


 «Avant, cette volatilité était gérée par Bruxelles. Mais en supprimant les filets de sécurité, l’Europe a importé cette volatilité sur les marchés», poursuit-il, en faisant référence aux prix minimaux garantis aux producteurs et autres taxes à l’importation, jadis en vigueur en Europe.


 «Il faut donner une boîte à outils aux opérateurs pour qu’ils se protègent contre la volatilité», résume Michel Portier, en comparant la volatilité à de la «pluie». «La pluie, on ne peut pas l’arrêter», conclut-il.

Loup Besmond de Senneville - Source : http://www.euractiv.fr

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