Côte d'ivoire : Voyage au cœur de la mafia qui pompe l`argent des producteurs Comment les Coopératives fictives sont créées et fiancées / Des préfets et des responsables du ministère accusés
15 août 2011
La filière café-cacao, depuis sa libéralisation, est devenue une vache à lait pour certains opérateurs. Les coopératives, presque toutes fictives, se présentent comme de véritables sources de
corruption et de pompage de l`argent des producteurs. Des préfets, en liaison avec certains responsables du ministère de l`Agriculture sont accusés… Un nouveau "plan cacao" est réclamé. Soir Info
met à nu la partie immergée de la mafia qui sévit dans la filière café-cacao.
En Côte d`Ivoire, dans le secteur café-cacao, c`est comme dans la nébuleuse secte de Ron Hubbard, le fondateur de l`Eglise de la Scientologie, qui dit. « Si tu veux être riche, sans effort, crée
ton église ». Dans ce juteux secteur, qui représente 40% des recettes d`exportation, si tu veux être milliardaire, en un temps record, monte ta coopérative et te voilà producteur, puis
milliardaire. Après le scandale dans cette juteuse filière qui a vu l`emprisonnement de ses dirigeants en 2008, les choses ne semblent pas avoir fondamentalement changé. Le système, pourrait-on
dire, est resté le même. En effet, depuis quelque temps, on parle beaucoup de coopératives de café-cacao et de leur financement par les nouveaux responsables en charge de la filière. Ces
coopératives, presque toutes fictives, ont toujours été des sources d`arnaque, d`escroquerie, de détournements de fonds, de corruption et de pompage des revenus des producteurs. Elles sont
socialement odieuses pour les planteurs et sinistrement dangereuses pour l`économie du pays. Elles sont toutes ou presque basées sur du faux. Le but réel de leurs promoteurs est de capter
l`argent des pauvres paysans, avec la complicité de certains dirigeants de la filière.
Sous l`administration Henri Amouzou Kassi ( ex-dirigeant de l`Anaproci) et de Tapé Do ( Bcc) d`importantes sommes d`argent, sous forme de prêts, avaient été décaissées au profit de ces
coopératives, à raison de 10. millions de Fcfa par structures, soit un total de 18 milliards de Fcfa par an. Mais, ces soi-disant prêts n`ont pas pu être remboursés jusqu`à ce jour, parce
qu`ayant pris d`autres directions. Comme si les producteurs n`avaient pas assez souffert, ces derniers jours, un groupe de personnes s`est donné comme mission de créer une fédération de
coopératives. Il revient aussi que le nouveau conseil de gestion de la filière café- cacao, mis en place par le nouveau régime, entend financer les coopératives à hauteur de 10 millions de Fcfa
par structure. Ce financement devrait, selon nos sources, se faire sur les fonds de l`Association nationale des producteurs de Côte d`Ivoire ( Anaproci), avec ou sans l`accord des nouveaux
dirigeants de cette structure. « Ce serait, dit-on, un don du chef de l`Etat, Alassane Ouattara », rélève un de nos informateurs. A cet effet, cette organisation demande aux coopératives de venir
déposer leurs documents à la Caistab. Bref, tout semble tourner autour des coopératives et de leur financement quand on veut gérer la filière café -cacao, totalement libéralisée depuis la
campagne 1999-2000. Au début des années 2000, Laurent Gbagbo avait libéralisé le secteur. Créées pour assurer transparence et équité, les structures de régulation ont échoué et leurs dirigeants
sont restés longtemps en prison pour mauvaise gestion présumée. Le gouvernement Ouattara s`est engagé, dernièrement, à remettre en chantier une réforme de la filière. Pendant la campagne
électorale, Alassane Ouattara avait promis de réorganiser la filière au profit des planteurs. Cette filière compte une multitude de coopératives sans réelle assise financière. « Ce sont des
structures créées pour capter l`argent des vrais producteurs, avec la complicité des dirigeants », soutien une source au ministère de l`Economie et des Finances. Il existe, à ce jour, au moins
3.500 coopératives dans la seule filière agricole. En décidant, comme l`avait fait l`ancienne équipe, de financer les coopératives à Abidjan, le Conseil de Gestion de la Filière Café-Cacao
(Cgfcc) risque encore de faire la promotion des coopératives fictives. Les nouveaux membres du Cgfcc sont ceux qui ont remplacé l`équipe d`Ano Gilbert, nommé par l`ex-régime au pouvoir. A Gagnoa,
par exemple, on enregistre 160 coopératives. A Abengourou, le chiffre est de 163 coopératives. A Agboville, on en dénombre au moins 143 contre 186 à San Pedro, autant à Guiglo et un peu plus de
170 à Man… Aujourd`hui, encore, les agréments continuent d`être délivrés, en violation totale de la loi sur les coopératives de 1997. Le nombre des coopératives donné ici ne concernent que les
villes citées et non les régions. Le constat est que la gestion de la filière café-cacao par les producteurs eux-mêmes n`est pas pour demain et qu`elle relève d`un vrai serpent de mer. Mais
comment ce système mafieux a-t-il vu le jour ?
Préfets et affairistes
De nos échanges et investigations sur le terrain dans les régions productrices et après lecture des textes régissant le mouvement coopératif ivoirien, nous avons pu déceler certaines zones
d`ombre qui sont les causes de la multiplicité des coopératives dont les rôles ont été dévoyés, avant d`être plongées dans une situation de faiblesse dans cette filière. D`abord, le rôle néfaste
joué par des préfets véreux, en complicité avec des responsables locaux du ministère de l`Agriculture, dans la délivrance des agréments à des coopératives fictives, moyennant espèces sonnantes et
trébuchantes. Des promoteurs de coopératives débourseraient, entre 3 et 5 millions de Fcfa pour se faire délivrer des récépissés. En plus, ces promoteurs qui se considèrent comme membres
fondateurs de ces coopératives ne tiennent jamais d`assemblée générale de renouvellement des organes de peur de perdre leurs postes et leurs privilèges. Ils deviennent des dirigeants à vie de ces
coopératives fictives. Ceux qui veulent apporter leur expérience dans la gestion coopérative sont obligés de créer eux aussi leur propre coopérative. C`est ainsi que les coopératives se
multiplient. Pour en revenir aux agréments des coopératives, il faut dire qu`ils s`établissent au niveau de la région. Toutefois, le processus d`agrément des coopératives, bien que décentralisé,
c`est-à-dire qui est assuré par les services extérieurs du Ministère de l`Agriculture, semble outrepasser leurs responsabilités. A ce niveau, la procédure d`agrément décrit dans la circulaire
interministérielle n°3718/Minagra/Mid du 26 octobre 1998 relative à l`application de la procédure d`agrément des coopératives n`est pas effectivement appliquée. Des individus, avec le soutien des
responsables du ministère de l`Agriculture dans les régions, vont soudoyer certaines autorités administratives pour se faire délivrer des agréments aux fins de capter l`argent des producteurs,
avec la complicité de ceux qui sont chargés de la gestion de la Filière. En effet, dans cette procédure, il y a trois niveaux essentiels pour agréer une coopérative. Le premier niveau est la
direction départementale de l`Agriculture (Dda). Lorsque les promoteurs d`une coopérative réunissent les pièces constitutives de création de la coopérative, ils déposent l`ensemble du dossier à
la Dda.
Gestion opaque
Un agent en charge de l`action coopérative à qui le Directeur départemental impute le dossier pour analyse se rend sur le terrain pour vérifier la conformité des éléments contenus dans le
dossier. L`existence du siège, la présence au poste du directeur de la coopérative pour s`assurer la séparation des pouvoirs, bien d`autres éléments décrits dans l`étude de faisabilité, etc. Le
deuxième niveau est celui de la Direction régionale de l`agriculture (Dra). Là encore, un agent spécialiste en gestion coopérative fait le travail de contre-vérification sur pièces et sur le
terrain avant de proposer au Directeur régional de l`agriculture la convocation de la réunion du Comité régional d`agrément des coopératives (Crac). Le troisième niveau est d`ailleurs le Comité
régional d`agrément des coopératives. Ce comité présidé par le Directeur régional de l`agriculture, comprend, les représentants régionaux des chambres consulaires dont la Chambre d`Agriculture et
les représentants régionaux de certaines Organisations professionnelles agricoles (Opa). C`est ce comité qui émet un avis dans un Procès verbal dûment rédigé à consulter à tout moment en cas de
contestation. Cet avis peut être défavorable. Dans ce cas, le Directeur régional de l`agriculture retourne le dossier aux promoteurs et leur retire le récépissé de dépôt déjà obtenu à la
Direction départementale de l`agriculture. L`avis peut être réservé, alors on exige aux promoteurs des éléments complémentaires. S`il est favorable, un projet d`arrêt portant agrément de la
coopérative est transmis au préfet accompagné du procès verbal de la réunion du comité d`agrément des coopératives. Le préfet signe l`arrêté s`il s`assure de la régularité de la procédure. En sa
qualité de Représentant de l`Etat, le Préfet est la dernière personne à qui les promoteurs peuvent avoir recours s`ils se sentent léser. Mais, sur le terrain, la réalité est tout autre. Nous
avons malheureusement constaté que les trois niveaux d`agrément des coopératives n`existent que pour la forme. Ils sont violés par des promoteurs, moyennant espèces sonantes et trébuchantes. «
Sur simple dossier présenté par un directeur régional corrompu, à un préfet véreux, le tour est joué et l`agrément est signé », nous fait remarquer M. T.B.V, un cadre du ministère de
l`Agriculture. Pour lui, les dirigeants de la filière ferment les yeux sur ces pratiques « tout simplement parce que la multiplicité des coopératives est une grande source de revenus pour eux ».
« Ils préfèrent avoir affaire à des coopératives fictives, qu`ils financent à grands frais afin de se partager l`argent des producteurs avec eux », souligne J.G.K, un planteur de Bloléquin. Il
suggère qu`on « assèche ces coopératives pour fermer le robinet des détournements dans la filière ».
Manœuvres de détournements
D`abord au niveau de la Direction départementale, l`agent de coopération est inexistant. Ensuite au niveau de la Direction régionale de l`Agriculture, la même chose est observée, c`est-à-dire que
l`agent chargé de l`action coopérative n`est pas opérationnel parce qu`il ne dispose d`aucun moyen pour accomplir sa mission. Enfin, au niveau du Crac, Comité essentiel pour la délivrance de
l`agrément, la composition n`est pas complète. Comme la Chambre d`Agriculture, il est fréquent que les Opa ( Organisations professionnelles agricoles) n`aient pas de représentant. La composition
du Crac n`est pas conforme au regard de l`article 20 du décret 98-257 du 03 juin 1998 portant application de la loi coopérative. Finalement, les coopératives sont agréées sans une analyse
véritable de leur dossier de constitution et quand l`argent s`en mêle, le processus s`en trouve « enrhumé ». Conséquence, les coopératives sont agréées en nombre pléthorique au niveau de nos
départements et régions. Plus grave encore, les coopératives sont gérées en dehors des textes de loi relative à l`action coopérative, ce qui fait l`affaire de certains acteurs de la filière. En
effet, dans la coopérative, la gestion est dévolue au directeur. En outre, l`article 15 de la loi 97-721 du 23 décembre 1997 relative aux coopératives et l`article 5 du décret portant application
de cette loi qui stipulent clairement que « les fonctions d`administrateur et directeur ou gérant d`une coopérative sont incompatibles ». Malheureusement, on remarque dans la majeure partie des
coopératives de la filière café-cacao, que le conseil d`administration se résume à une seule personne qui est le Président du Conseil d`Administration. Qui joue très souvent le rôle de directeur
ou gérant. Cette gestion illégale des coopératives qui remet en cause la séparation des pouvoirs tels que voulu par l`Etat de Côte d`Ivoire est soutenue par des personnes ou structures qui
travaillent ou veulent travailler avec ces associations. En effet, celles-ci, au lieu de se rendre au siège des coopératives, sont souvent enclines à convoquer le Pca pour traiter des affaires.
Conséquence, les coopérateurs ne se sentent pas concernés par les engagements pris par celui qui semble agir en leur nom parce qu`il pose des actes hors du siège de la structure. A ce niveau,
l`exigence qui est faite de conclure tout acte au siège de la coopérative est une façon de rendre transparents les engagements pris, d`une part et d`amener les autres membres à être participatifs
desdits engagements de sorte à jouer, chacun à son niveau, le contrôle dans la mise en œuvre des actions y afférentes, d`autre part.
Il est donc déplacé d`inviter les Pca des coopératives à Abidjan ou en dehors de leur siège pour des actions qui engagent l`ensemble des coopérateurs et leur remettre des enveloppes d`argent. Le
faire c`est participer à la promotion des coopératives fictives, sans siège social ni directeur-gérant et encourager la corruption et les détournements. Certains organes de gestion de filière
café et cacao ont pour habitude d`inviter les Pca des coopératives au lieu de se rendre au siège des coopératives. C`est ce qui se prépare en ce moment… « Cette façon de procéder constitue une
source mafieuse de création de coopératives fictives et d`arnaque pour empocher l`argent », soutient M. F.L.V à Divo.
Armand B. DEPEYLA