A l'issue du 12e Forum international de l'énergie, mercredi 31 mars, dans la cité mexicaine, 66 pays producteurs et consommateurs s'étaient engagés à "renforcer" leur dialogue pour réduire l'instabilité des marchés de l'énergie et la volatilité des cours. Surtout celui du pétrole, passé de 147 dollars mi-2008 à 32 dollars six mois plus tard avant de remonter, avec des effets de yo-yo, pour franchir la barre des 80 dollars.

 

Le marché - et sa "main invisible" - est resté sourd à la déclaration incantatoire des ministres de l'énergie réunis à Cancun. Les opérateurs de New York et de Londres n'ont guère changé de comportement : le prix du baril pour livraison en mai a atteint 84,87 dollars à New York, jeudi, son plus haut niveau depuis octobre 2008. Sur la semaine, le brut américain et le Brent de la mer du Nord ont gagné 6 %. Les marchés font plus que jamais le pari d'une reprise économique forte et durable qui soutiendra la demande dans les pays émergents, notamment la Chine.

 

Un baril autour de 80 dollars satisfait pays exportateurs et consommateurs. Il est suffisant pour financer les investissements, même coûteux, dans l'exploration-production sans compromettre la reprise économique. "Une bonne demande, une offre fiable, des prix parfaits : nous sommes très contents", résumait Ali Al-Naïmi, ministre saoudien du pétrole, mi-mars, lors de la dernière réunion de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

 

Mais c'est la volatilité qui les inquiète. A Cancun, le secrétaire général du cartel, Abdallah Salem El-Badri, a regretté que "le cours (ait) échappé à tout contrôle fin 2008 en raison de la spéculation". Or les industriels, les producteurs d'électricité ou les compagnies aériennes ébranlées par la crise ont besoin de stabilité.

 

Si les seuls fondamentaux physiques du marché (offre-demande de pétrole réel) prévalaient, le baril ne dépasserait pas 40 dollars. En dépit des tensions en Iran et au Nigeria, il n'y a aucun risque de rupture d'approvisionnement. L'OPEP dispose en effet d'une capacité excédentaire de production de 6 millions de barils par jour (pour une production de 84 millions). Le cartel peut encore garder des quotas serrés pour soutenir le niveau des cours, comme il l'a fait lors de sa dernière réunion.

 

Un actif comme les autres

Mais le pétrole est devenu un actif comme les autres : les investisseurs en achètent et les transactions sur le "pétrole papier" représentent trente fois les échanges de volumes physiques. En février, l'économiste Jean-Marie Chevalier a remis un rapport à la ministre de l'économie, Christine Lagarde, dans lequel il soulevait les "risques difficilement contrôlables" de la spéculation.

 

Quelques semaines plus tôt, la Commodity Futures Trading Commission, qui surveille les marchés des matières premières aux Etats-Unis, proposait de limiter le volume des investissements pétroliers des fonds et des banques d'affaires. En la matière, Goldman Sachs ou Morgan Stanley sont plus puissants que les gouvernements.

 

Les producteurs de gaz, eux, font grise mine : les prix du marché au comptant (spot), qui ont longtemps suivi ceux du brut, ont décroché en 2009. Ils ont été divisés par trois depuis le record de l'été 2008, en raison de la baisse de la consommation mondiale liée à la crise (- 3 % en 2009), mais aussi de la forte production de gaz non conventionnels (gaz de schistes, gaz de houille...) aux Etats-Unis. Celle-ci a entraîné un net recul des importations américaines et créé d'importants surplus sur le marché, notamment dans le secteur du gaz naturel liquéfié. Les consommateurs n'en profitent pas puisque le gaz acheté par GDF Suez est indexé sur le pétrole (en hausse) et qu'il en répercute les coûts sur ses clients.

 

A Cancun, les producteurs ont affiché leur volonté de faire remonter les prix. Ils en débattront à Oran (Algérie), le 19 avril, au Forum des pays exportateurs de gaz. Quatre dollars par BTU (British Thermal Unit) sur le marché, "ce n'est pas viable", a prévenu le ministre algérien de l'énergie et des mines. Chakib Khelil juge qu'un doublement du prix est nécessaire (à 8-9 dollars par BTU), et il plaidera pour une réduction de la production pour faire remonter les cours.

 

En dépit de leur affichage - très politique - en faveur d'une "OPEP du gaz", les pays détenant les plus grandes réserves (Russie, Iran, Qatar...) ne sont pas parvenus à mettre ce cartel en place. Pas plus que les Vingt-Sept ne sont arrivés à créer une centrale européenne d'achat qui leur permettrait d'obtenir de meilleurs prix dans les négociations avec les producteurs.  

Jean-Michel Bezat
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