Le pays-continent vit sa dix-neuvième année de croissance consécutive. Un exploit réalisé notamment grâce à ses exportations de matières premières.

Benjamin Gough a un travail très recherché en Australie. Employé par Rio Tinto, il conduit d'énormes camions dans des mines de bauxite. Des mines tout au nord du pays, pas très loin de Darwin : à Gove. Il travaille douze heures par jour, deux semaines d'affilée. « C'est un bon boulot, les journées passent vite. » Les jours de pause, il ne peut pas nager dans l'océan. Il y a trop de crocodiles. Mais il pêche ou joue au golf. La troisième semaine, il est libre. Il prend alors l'avion pour retrouver sa femme et ses deux enfants, Gordan, 2 ans et Mieka, quelques mois. Sa famille habite à Cairns, sur la côte est, face à la Grande Barrière de corail. Si la séparation est parfois « éprouvante », il gagne 4 700 euros net par mois, le double du salaire d'un jeune ingénieur dans une entreprise classique. Ici, on appelle ces travailleurs volants les Fly in Fly out Workers. En abrégé, FIFO (dits « Faifo »).

Minerais précieux
Ces FIFO illustrent toute la particularité de l'Australie, un des rares pays riches à avoir évité la récession en 2009. Ses ressources naturelles l'ont sauvée. C'est la raison principale qui explique un taux de croissance certes faible, mais positif : 0,8 % pour 2009, selon l'OCDE. Charbon, fer, uranium, cobalt, or, bauxite, et d'autres minerais encore, abondent. L'Australie les exporte en masse, surtout vers la Chine, devenue, depuis 2007, son premier partenaire commercial, devant le Japon et les Etats-Unis.
Une deuxième raison explique l'exception australienne : la bonne résistance des banques. Directeur d'Audant Investments, Geoffrey Dustan l'explique par l'histoire. « Après la récession et la spéculation du début des années 1990, puis la crise asiatique de 1997 qui nous a fortement touchés, le gouvernement et la Banque centrale ont créé, en 1998, un haut niveau de régulation. » Selon lui, le souvenir de cette décennie de cauchemar a aussi « influencé la philosophie des principales banques dans leurs octrois de crédits et leurs investissements. Elles se sont peu exposées aux produits toxiques internationaux. » Résultat : cette fois-ci, aucune banque n'a été menacée.

Plan de relance généreux
Troisième raison : l'Australie a vite réagi. Le gouvernement a débloqué un énorme plan de relance, le Stimulus Package, à hauteur de 5,4 % de son PIB (contre 1,6 % en France). Après la Corée et les Etats-Unis, c'est le plus fort taux des pays de l'OCDE. Quelque 900 dollars versés à chaque ménage - aide à l'achat d'une première maison -, coups de pouce à la construction d'écoles : le Premier ministre travailliste Kevin Rudd a pu se montrer généreux grâce au surplus budgétaire et à l'absence de dettes, un héritage laissé en 2007 par le conservateur John Howard. Celui-ci avait bénéficié de la manne des privatisations, comme celle de l'opérateur Telstra. Du coup, tout le monde a pu continuer à consommer et à faire tourner la machine économique.
Autre chance du Lucky Country, la reprise a démarré tôt. Le pays vit sa dix-neuvième année de croissance consécutive. Dans ses dernières prévisions, mi-avril, le FMI table sur un PIB en hausse de 2,9 % cette année et de 3,4 % l'année prochaine. « L'économie chinoise est repartie dès janvier 2009, explique Karine Berger, économiste à Euler Hermes. La zone asiatique a suivi à la fi n de l'année. En octobre, l'Australie a été le premier pays de la région à relever son taux directeur. » Depuis, la Banque centrale l'a remonté cinq fois. Il est désormais à 4,25 %. « L'Australie a déjà l'impression d'être en surchauffe », poursuit l'experte. Qui pointe un risque d'inflation, surtout dans l'immobilier. Le prix des maisons a augmenté de 12,7 % sur un an, selon RP Data. Certains parlent même de bulle.

Pénurie de main-d'oeuvre
Assis devant une vue grand angle de Sydney, au 22e étage d'une tour, Lin-coln Crawley, patron de Manpower, note que l'emploi repart depuis septembre 2009. Même si de nombreux jeunes restent sans job, le taux de chômage a baissé, pour atteindre 5,3 % en février. «Depuis le premier trimestre 2010, nous voyons un changement radical, souligne-t-il. Poussée par le secteur des matières premières, l'économie repart trop vite. Nous faisons face à une pénurie de talents. Et comme il faut six à douze mois pour former des Australiens, la question d'une hausse de l'immigration se pose à court terme. » Et provoque un débat politique houleux. Lincoln Crawley fait partie d'un groupe de travail qui remettra, en juin, un rapport au gouvernement sur un recours à de la main-d'oeuvre étrangère.
Le Français Vincent Monné, lui, est déjà là. Contrairement à Benjamin le FIFO, il est sédentaire. Et vient d'être embauché comme ingénieur sur un site de retraitement des déchets, à Penrith, près de Sydney. Il habite dans le centre-ville, gagne un bon salaire et s'est acheté une BMW série 3. Premier job, première voiture... Dans l'usine, où flotte une odeur de poubelle, il confie, les yeux brillants : « Pour moi, c'est l'Australian dream. »

 

 

Dominique Perrin

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