La Chine fixe plus que jamais le prix des matières premières
18 mai 2010
L'or, qui a encore battu, vendredi 14 mai, un record et dont le cours approche les 1 215 dollars l'once, n'est pas la vedette du rapport Cyclope 2010 (Economica, 800 pages, 115 euros), référence
française dans le domaine des matières premières. Cette année, l'ouvrage est intitulé "La renaissance du Palais d'été" et consacre la prééminence économique de la Chine sur ces marchés.
"Il y a un siècle et demi exactement, deux barbares stigmatisés par Victor Hugo - la France et la Grande-Bretagne - mirent le feu à la civilisation chinoise en incendiant la résidence estivale
des empereurs, commente Philippe Chalmin, professeur associé à l'université Paris-Dauphine, qui a présenté le travail de ses cinquante collaborateurs, mardi 18 mai. Cette humiliation qui a marqué
le début de la décadence chinoise est oubliée : la puissance et la vigueur de son économie ont fait de la Chine l'acteur principal des marchés de matières premières, où les hausses se poursuivent
sous l'effet de sa demande."
La preuve en est que les cours des produits de base qui intéressent peu Pékin sont restés calmes en 2009, tels le blé ou le soja, qui sont toujours deux ou trois fois inférieurs à leur sommet d'une année 2008 de folie.En revanche, le pétrole, le fer ou le cuivre sont toujours agités par une volatilité importante, chutant ou montant en quelques jours de 10 % à 20 % en fonction des spéculations des investisseurs sur la voracité industrielle de l'empire du Milieu ou sur l'efficacité des tours de vis que Pékin donne au crédit pour éviter la formation de bulles spéculatives."Le problème, ajoute M. Chalmin, c'est que la croissance économique mondiale est propulsée seulement par le moteur chinois et qu'ailleurs la croissance est atone, notamment dans les pays industrialisés."Le rapport Cyclope traite également des bouleversements qui affectent les cours du gaz, ceux du fer, et des fluctuations sur celui des changes.
Les perspectives du marché mondial du gaz ont été remises en cause par le développement de nouvelles techniques permettant d'extraire les gaz "non conventionnels" de gisements jusque-là inaccessibles ou trop coûteux à exploiter. Il en est résulté un effondrement du prix du gaz naturel aux Etats-Unis, puisqu'à efficacité énergétique égale le gaz y coûte deux fois moins cher que le pétrole. "Par ricochet, cette nouvelle donne affecte même le marché européen et les contrats avec le russe Gazprom et l'algérien Sonatrach, souligne M. Chalmin. Cela prouve que l'on sous-estime toujours les effets des changements technologiques." Les réserves d'hydrocarbures seront-elles épuisables plus tard qu'on ne le croit ?
Le fer connaît depuis quelques mois une révolution. A l'évidence, le système de négociations annuelles entre les groupes miniers Vale, BHP Billiton et Rio Tinto, d'un côté, et les sidérurgistes chinois, japonais ou européens, de l'autre, a vécu, les premiers estimant qu'avec ce système le prix du minerai ne progressait pas au rythme du marché au comptant. Selon M. Chalmin, "désormais, c'est le fer qui devient directeur pour l'acier ou les ferrailles, et les négociations commerciales vont se multiplier en aval avec le secteur automobile ou immobilier".
On croyait que les cours des matières premières montaient quand le dollar baissait, les investisseurs cherchant à se prémunir contre cette dévalorisation. Mais la remontée du billet vert et le recul de l'euro n'ont pas enrayé l'appréciation des prix et il faut réviser cet axiome. "Cela veut dire, conclut M. Chalmin, qu'avant de chercher à stabiliser les cours de tel ou tel produit il vaudrait mieux se préoccuper de stabiliser le marché des changes et réformer un système monétaire international qui ne fonctionne pas." Là encore, la Chine fera inévitablement partie de la solution.
Alain Faujas
Article paru dans l'édition du 19.05.10