Nous avons raté le bateau." Lord John Browne, patron de BP jusqu'en 2007, résume ainsi, dans ses Mémoires (Beyond Business), l'échec du projet de fusion avec Shell, dont il avait discuté en 2004 avec le PDG de son grand rival anglo-néerlandais. Le mariage aurait généré 7 milliards d'euros de synergies par an, plaidait-il, mais certains membres de son conseil d'administration avaient mis leur veto, refusant de "déstabiliser le navire"...

 

FLOTILLE BPSix ans plus tard, la catastrophe écologique du golfe du Mexique le fait dangereusement tanguer. L'image et la réputation de BP sont ternies pour longtemps. Le titre a encore perdu 15 %, mardi 1er juin, à l'ouverture de la Bourse de Londres, après l'échec du colmatage du puits le week-end précédent. Depuis l'explosion de Deepwater Horizon, le 20 avril, sa capitalisation a fondu de 35 %. Et personne n'ose prédire jusqu'où elle plongera, ni si ce fleuron centenaire de l'industrie britannique ne sera pas la cible de ses deux rivaux les plus puissants : ExxonMobil, qui pèse 233 milliards d'euros en Bourse - plus de deux fois la valeur de BP (94 milliards) - et Shell (129 milliards).

 

Hors raffinage et stations-service, il existe des complémentarités, notamment avec Shell. BP présente aussi l'avantage d'être bien implanté dans des régions politiquement sûres (Etats-Unis, mer du Nord...). La naissance d'un tel géant ne déclencherait pas forcément un veto des autorités de la concurrence. Le marché pétrolier et la compétition sont en effet mondiaux. La nationalisation du secteur (1950-1979) dans les pays producteurs du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Amérique latine a transféré la puissance des "7 soeurs" (Exxon, BP...) aux sociétés nationales, qui détiennent 90 % des réserves prouvées : Saudi Aramco (Arabie saoudite) possède 20 % des réserves de pétrole conventionnel, Gazprom (Russie) une part équivalente dans le gaz. Le mariage BP-Shell ou BP-ExxonMobil en donnerait de l'ordre de 6 % à la nouvelle société.

 

Course au gigantisme

Il reste qu'une telle compagnie serait puissante et pourrait échapper davantage au contrôle des gouvernements. Y compris à l'oeil des autorités américaines, qui ont découvert les relations - parfois inavouables - entre BP et certains fonctionnaires. Il n'est pas certain que l'administration de Barack Obama accepterait de gaieté de coeur la naissance d'un nouveau "supergéant".

 

Une fusion de grande ampleur relancerait la course au gigantisme, qui a reconfiguré le secteur au tournant des années 2000. BP avait alors donné le signal en rachetant les américains Amoco et Arco en 1998-1999. Moins d'un an après, Exxon absorbait Mobil, Total rachetait Elf et Chevron mettait la main sur Texaco. Seuls Shell et l'italien Eni n'avaient pas pris part au mouvement. La consolidation s'expliquait par la volatilité des cours et le coût croissant des projets pétroliers, qui imposaient aux compagnies d'étendre leur surface financière.

 

Jean-Michel Bezat
Source LE MONDE

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