Le caoutchouc naturel, un «or vert» très fragile
17 août 2010La pérennité de l’industrie du pneumatique est menacée par un champignon brésilien qui détruit les plantations d’hévéas. Sans latex, impossible de produire des pneus de bonne qualité.
Renouvelable, écologique, indispensable à la fabrication de pneus… et tellement fragile. Le caoutchouc naturel, ou plus précisément, les hévéas, qui produisent le latex transformé en caoutchouc, vivent sous une épée de Damoclès. La plantation de Michelin dans l’État de Bahia (Brésil) suffit à s’en convaincre. Des parcelles entières sont peuplées d’arbres dénués de feuilles, attaqués par le Microcyclus ulei (MU), un champignon endémique qui freine la croissance des feuilles et fini par tuer les arbres.
Ici, le fabriquant de pneumatiques français a développé un centre de recherche consacré à cette maladie qui a jusqu’à présent empêché tout développement de la culture industrielle de l’hévéa au Brésil. Très contagieux, ce champignon a tôt fait de passer d’hévéa en hévéa, dès lors qu’ils sont sagement alignés dans une plantation. En milieu naturel, dans une forêt où les essences sont mélangées, le Microcyclus ne fait pas les mêmes ravages, même s’il s’est propagé dans toute l’Amérique centrale et du Sud en moins de cinquante ans. Pour le moment absente des continent africain et asiatique, cette maladie est une réelle menace pour ces zones de production. Au point que les Nations unies ont classé le Microcyclus parmi les six champignons susceptibles d’être utilisés en bioterrorisme. «L’ouverture de la ligne aérienne entre le Brésil et la Côte d’Ivoire avait causé l’émoi des communautés scientifiques et des plantations ivoiriennes, au début des années 1980, se souvient Hervé Chrestin, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement et qui était en Côte d’Ivoire à l’époque. Si des souches de MU venaient à s’adapter à des conditions écologiques différentes, ce serait le drame.» Le chercheur se dit d’ailleurs «étonné que la maladie ne se soit pas encore propagée sur d’autres continents». Les vecteurs de la propagation du Microcyclus ne sont pas connus. Certains chercheurs craignent qu’il puisse être transporté par d’autres végétaux, comme le soja, que le Brésil exporte massivement vers l’Asie.
Éviter une flambée des prix
«Pour le moment, la maladie n’a pas migré, mais le risque de la voir traverser les océans est réel. Si ce scénario catastrophe devait se produire, nous serons prêts», ajoute Éric Cavaloc, le directeur de la plantation Michelin, soucieux de ne pas semer la panique dans les marchés. La moindre rumeur de contagion aux plantations du Sud-Est asiatique, qui représentent 95% de la production mondiale de caoutchouc naturelle, pourrait faire flamber les cours. Or, à plus de 3 euros le kilo à la Bourse de Singapour, cette matière première flirte déjà avec ses plus hauts historiques. Un danger dont se passerait bien volontiers Michelin, qui achète 10% de la production mondiale -la production du groupe ne représentant que quelques dixièmes de ses besoins. À Bahia, le groupe français ne vise pas l’autosuffisance, mais travaille à pérenniser son avenir, avec un programme de recherche sur le Microcyclus.
C’est ainsi qu’au début des années 1990, le manufacturier a lancé un projet destiné à élaborer des variétés d’hévéas capables d’assurer la production de caoutchouc dont l’industrie mondiale a besoin. L’équation à résoudre est complexe. Les clones obtenus doivent être résistants au champignon brésilien tout en produisant suffisamment de latex pour que leur exploitation soit rentable. «Il faut vingt-cinq ans pour sélectionner un hévéa. C’est un programme à long terme», ajoute Jérôme Sainte-Beuve, chercheur au Cirad. À force d’hybridations, trois variétés d’hévéas résistant au champignon et avec des niveaux de rendement satisfaisants ont été mises au point. Elles sont actuellement testées au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, cette fois dans des plantations partenaires de l’équipementier. Les chercheurs étudient l’évolution de l’arbre dans tous les milieux naturels où il est susceptible d’être exploité. Par la suite, l’équipementier envisage de protéger les nouvelles variétés d’hévéa par un certificat d’obtention végétale, Cove, «pas tant pour pouvoir les vendre à des fermiers que pour éviter qu’un jour quelqu’un essaye de nous vendre le produit de nos recherches», précise Éric Cavaloc.
Michelin défend l’écosystème forestier au Brésil
Le domaine de Michelin dans la région de Bahia, au Brésil, est loin de se limiter à une simple plantation d’hévéas, fût-elle consacrée à la recherche. En 2004, plus de 3000 hectares d’un seul tenant ont été «rendus» à la forêt qui jouxte l’Atlantique. «Il était très important qu’il s’agisse d’un bloc de forêt et non pas de parcelles disséminées au milieu de plantation d’hévéas», souligne le docteur Kevin Flescher, un universitaire américain devenu directeur du centre de recherche sur la biodiversité de Michelin, au Brésil. Les animaux ont largement profité de ce nouvel espace protégé où la chasse est interdite. Des espèces ont fait leur retour, de grands rongeurs ainsi que des pumas, un des symboles de la région. «Les progrès réalisés en termes de biodiversité en quelques années sont surprenants», ajoute Kevin Flescher. Par ailleurs, Michelin a cédé environ 5000 hectares à douze familles, essentiellement d’anciens salariés, qui ont constitué une coopérative. Ils produisent du latex mais aussi des fèves de cacao.
Source LE FIGARO