« Le Code minier doit permettre le gagnant-gagnant »
22 mai 2011Denis Thirouin, consultant indépendant pour le compte de sociétés minières, nous livre son point de vue sur les difficultés à associer le développement industriel avec le progrès social et l’environnement.
Les Afriques : Quelle est la bonne alchimie pour que l’exploitation d’un bassin minier profite au plus grand nombre et où se trouvent les obstacles politiques : dans les Codes miniers ?
Denis Thirouin : La bonne « alchimie » pour l’exploitation d’un permis minier par une compagnie minière réside dans l’adéquation entre les exploitants miniers, les communautés locales (ou « sociétés civiles ») et les autorités minières et politiques du pays considéré. Un effort de compréhension mutuelle dans un cadre précis – le Code minier – doit permettre d’arriver à cette fameuse expression « gagnant-gagnant » dans la répartition de la valeur ajoutée entre l’exploitant et les partenaires nationaux et locaux.
Cette répartition, si elle doit être pérenne dans les principes, doit être susceptible d’évolution technique suivant que la matière première subît ou non une première transformation dans le pays. A ce sujet, il y a suivant les cas des processus obligatoires (minerais trop pauvres en teneur pour être transportés : or, uranium), possibles « aujourd’hui», possibles « demain » (en raison des techniques disponibles ou pas) et pas possibles à long terme pour des raisons diverses telles que les disponibilités d’énergie, les compétences humaines, les infrastructures appropriées.
LA : L’activité minière est par nature porteuse de projets nécessitant beau-coup de temps entre le projet et l’exploitation, cette planification est-elle toujours comprise par les autorités locales ?
DT : Effectivement si l’on considère qu’un projet entre le début de l’exploration (délivrance de l’arrêté l’autorisant) et celui de l’exploitation effective peut varier entre cinq et vingt ans. Des incompréhensions peuvent surgir avec les autorités locales ou la société civile. Un projet minier se décompose entre une carrière d’extraction, une valorisation physique du minerai sur place (pour le mettre à un niveau de qualité commerciale), et le plus souvent des infrastructures ferroviaires et portuaires appropriées. Seuls l’or, après production de lingots (non bancables), et le diamant peuvent prendre l’avion. Les infrastructures ne peuvent être conçues et programmées qu’une fois connus et confirmés les résultats de l’exploration.
LA : Le renforcement du secteur minier nécessite parfois une refonte de la cartographie minière. Quels sont les organismes qui les cartographient ?
DT : La cartographie géologique des pays a été réalisée depuis de nombreuses années. Néanmoins, l’évolution des techniques et des demandes conduit à des révisions plus ou moins périodiques. Le « Code minier » définit à son tour des « permis », c’est-à-dire des espaces avec des coordonnées géographiques incontestables pour lesquels les compagnies minières font des demandes, en grande majorité suivant la règle « premier arrivé, premier servi ». A l’issue d’une période d’exploration, le détenteur du permis choisit la partie qu’il va conserver en vue de son exploration, puis rend aux autorités le solde qui, de nouveau, va pouvoir être attribué à de nouveaux arrivants. Il s’agit donc, en général, d’un procédé continu d’allocation et de réallocation. Les cartographies géologiques sont le plus souvent le résultat de collaborations techniques et financières entre des bureaux géologiques de tel ou tel pays et la direction de la géologie du pays considéré, le financement de ces études faisant appel aux bailleurs de fonds et aux Etats.
LA : Les controverses fleurissent sur l’épuisement des ressources minérales et pétrolières. Vos relations professionnelles avec les majors du secteur vous permettent-elles d’avoir un point de vue global sur la question ?
DT : Mon point de vue est que l’on n’est pas prêt de manquer de matières premières ! En effet, le rayon de la Terre est de 6400 km (à quelques dizaines près). A ce jour, le plus grand « trou » que l’homme ait fait pour extraire une matière première n’est que de 5 km environ (en Afrique du Sud). Il ne s’agit en fait que d’un coup d’épingle !
De plus, le prix des matières premières et les substitutions plus ou moins possibles d’un matériau à un autre dictent la « teneur de coupure » à partir de laquelle une opération minière devient ou non économique (ainsi, pour l’uranium, la « teneur de coupure » est passée de 5% à 0,05%, ce qui donne des réserves nouvelles considérables).
De même, pour le pétrole offshore, on est passé d’une profondeur de quelques dizaines de mètres à près de 4000 mètres… A ces techniques d’extraction de plus en plus sophistiquées s’ajoutent les possibilités de substitution d’un produit par un autre, s’il devient trop rare et trop cher.
Un autre exemple est celui des nodules polymétalliques qui reposent sur le fond de l’océan Pacifique, tels que le cobalt, le manganèse, le cuivre, le nickel, qui, s’ils sont exploités un jour, conduiraient à la fermeture de nombreuses mines terrestres (trois consortiums dans les années 1970 ont tenté de valoriser ces nodules en essayant de mettre au point des technique de récupération, mais sans succès, faute d’une valeur d’utilisation suffisante par rapport au « coût d’extraction »).
En fait, les facteurs limitatifs viendront non pas du manque de matières premières, mais du coût et des besoins en énergie et en eau nécessaires pour les extraire, avec les implications dues au réchauffement climatique, qui n’est pas encore pris suffisamment en compte dans les modèles économiques.
Propos recueillis par Philippe Bourgeois, Paris