Les compagnies pétrolières internationales (ExxonMobil, Shell, BP, Total, Chevron....) sont-elles aussi puissantes que leur réputation le laisse entendre ? Elles ont certes une puissance financière considérable dans un secteur très gourmand en capital, puisqu'elles comptent parmi les premières capitalisations boursières dans le monde.

 
petroleElles disposent aussi d'un pouvoir d'influence considérable. Notamment aux Etats-Unis, où le "lobby pétrolier" – très proche du Parti républicain – pèse sur la politique énergétique depuis des décennies. Mais dans un secteur où l'accès aux réserves de pétrole et de gaz est essentiel, cette puissance est toute relative.

 

Autrefois baptisées les "sept sœurs", les majors occidentales (Exxon, Mobil, Chevron, Texaco, Gulf, Royal Dutch Shell, BP) s'étaient partagées les régions pétrolières, en 1928, dans le cadre des "accords d'Achnacarry". Jusqu'à ce que les pays producteurs d'or noir – le Mexique dès 1938 – nationalisent le secteur dans les années 1950 à 1970.

 

ExxonMobil, né en 1911 de l'éclatement de la Standard Oil ("Esso") décidé par la Cour suprême des Etats-Unis après la loi antitrust, est la première capitalisation mondiale (279 milliards de dollars). Une multinationale présente dans l'exploration-production, le raffinage, les stations-services, la chimie et la pétrochimie... L'anglo-néerlandais Shell est la deuxième compagnie pétrolière privée (160 milliards de dollars de capitalisation), suivie de Chevron (145 milliards), de BP (116 milliards) et de Total (107 milliards).

 

VAGUE DE NATIONALISATIONS

Mais la puissance des compagnies nationales créées par les pays producteurs s'est affirmée depuis la vague de nationalisations. PetroChina talonne désormais Exxon en Bourse (277 milliards de dollars), le brésilien Petrobras (145 milliards) est devenu un géant en quelques année seulement et le russe Gazprom pèse 123 milliards.

 

Mieux, ces compagnies "souveraines" possèdent – directement ou indirectement – plus de 90 % des réserves mondiales de pétrole brut ou de gaz, les majors occidentales en détenant moins de 10 %. Même un mariage entre ExxonMobil et BP donnerait naissance à une compagnie contrôlant dix fois moins de pétrole que la Saudi Aramco (Arabie saoudite).

 

Certes, ces sociétés publiques ne disposent pas toutes du savoir-faire technologique des grands industriels privés, notamment dans l'exploration-production off-shore ou le gaz naturel liquéfié, même si la situation est contrastée et le profil des compagnies publiques disparate.

 

Le Kazakhstan n'est pas capable, sans l'appui financier et technique des compagnies occidentales, de développer seul Kashagan, un énorme champ pétrolifère découvert en mer Caspienne en 2000, qui serait le cinquième gisement mondial (40 milliards de barils de réserves). Tout en ayant fait pression sur le consortium international travaillant sur le site pour porter sa part de 8,3 % à 16,8 % en 2008, la compagnie nationale KazMounaïGas est obligée de s'appuyer sur ExxonMobil, Shell, Total et l'italien Eni.

 

CONCURRENTS REDOUTABLES

Certains groupes publics sont devenus des concurrents redoutables. En Irak, qui a mis une dizaine de champs géants aux enchères en 2009, on a vu se presser les Russes (Loukoil, Rosneft), les Chinois (PetroChina, Cnooc) et les Malaisiens (Petronas). Ils ont remporté quelques champs géants.

 

Certains ont aussi développé depuis des années de solides compétences dans l'off-shore. Petrobras en est le bon exemple, qui a permis à Brasilia, après les énormes découvertes réalisées en 2007 dans le bassin de Santos, au large de ses côtes, de décider un renforcement de son contrôle sur l'exploitation des plus grandes réserves en mer découvertes ces dernières années. C'est Petrobras, cotée en Bourse mais contrôlée par l'Etat brésilien, qui sera l'opérateur des projets prévoyant d'extraire du brut à plus de 7 000 mètres de profondeur (eau, couche de sel et roche).

Les compagnies publiques ont souvent la main sur la richesse pétrolière. Non seulement parce qu'elles retirent l'essentiel du "profit oil" [les gains générés par l'extraction du pétrole brut], mais aussi parce qu'elles peuvent imposer une révision unilatérale des contrats, parfois aux limites des règles de droit international.

 

Ainsi, au Venezuela, Hugo Chavez a imposé, en 2008, que la compagnie nationale PDVSA détienne 60 % des projets de production du pétrole extra-lourds de la ceinture de l'Orénoque.

 

En Russie, Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie, avait obligé Shell et deux groupes japonais à céder à Gazprom la majorité dans l'énorme projet de Sakhaline (gaz naturel liquéfié), dans l'extrême-orient russe.

 

Les pays producteurs dont les besoins en infrastructures et les interventions sociales sont importantes (Russie, Iran, Nigéria, Venezuela...) souffrent quand les cours baissent, comme ce fut le cas en 2009. Ils subissent aussi les conséquences d'une mauvaise gestion de la rente pétrolière. Il n'empêche : le pouvoir n'est plus dans les mains des compagnies qui ont succédé aux "sept sœurs".

 

Jean-Michel Bezat
Source LE MONDE

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