Le spectre de l’envolée des cours des matières premières serait-il de retour ? Depuis quelques mois et à peine l’économie mondiale vient-elle d’entamer une sortie hésitante d’une douloureuse crise que l’inquiétude gagne à nouveau le monde industriel. Il faut dire qu’il y a de quoi !  Bois, sucre, coton, acier, charbon et pétrole (voir article sur pétrole en page 12) ont accusé des hausses vertigineuses parfois et, cela, en quelques mois seulement. Seul le blé semble encore échapper à la spirale, dopé par une production mondiale en forte hausse qui a entraîné, selon Attijari Capital Markets, une chute de 66% par rapport aux cours affichés début 2008. Mais le blé semble bien être, pour le moment, une exception... Sur le plan local, le Maroc étant dépendant de la majorité de ces matières, nombre d’industriels sont effrayés par le retournement de tendance alors que le monde n’est pas encore totalement sorti de la crise économique. «Mis à part l’ Asie, la reprise est encore très hésitante et nous avons du mal à comprendre cette envolée des prix des matières premières», commente un industriel du textile qui met en avant des carnets de commandes peu reluisants..
L’intermédiation, le prix du fret et les besoins sans cesse croissants de certains pays asiatiques (principalement Chine et Inde) constituent les trois raisons de la flambée les plus citées par les industriels marocains. A l’Office national de l’électricité, par exemple, le management tient à préciser que si les cours du charbon ont augmenté, ce n’est pas un problème de production mais de commercialisation. «La multiplication des intermédiaires perturbe la logique de l’offre et de la demande et, au final, l’augmentation des cours du charbon ne profite pas aux producteurs mais aux intermédiaires», indique-t-on. Les métallurgistes ont constaté le même phénomène dans leur secteur, confirme Adnane Lemdouar, responsable à la Fédération des industries métallurgique, mécanique et électromécanique (FIMME).  
Pour minimiser l’impact de cette hausse, certains industriels marocains ont recours à la couverture du risque qui permet à une société d’acheter sa matière première à un prix fixe indépendamment des variations du marché pendant une certaine durée.
Mais cette technique n’est pas infaillible et est généralement très limitée dans le temps. «Nous utilisons les couvertures dans nos contrats de fourniture en bois mais ces couvertures sont souvent limitées à un an au maximum voire 6 mois», tient à préciser un importateur de bois basé à Rabat.
Pour que les cours soient moins volatils, les industriels qui dépendent des cours des matières premières espèrent la création d’un régulateur mondial du marché des matières premières. «Seul un organisme international reconnu pourrait limiter les dégâts occasionnés par les spéculateurs sur ce marché», revendique-t-on auprès de l’ONE.
En attendant, cet organisme également souhaité par les industriels européens, les prix des matières premières continuent de grimper, augurant la reprise économique pour certains industriels ou le début d’une nouvelle crise pour d’autres.

Sucre : 23% en un an

La production internationale du sucre a chuté de 10 millions de tonnes en 2009 par rapport à 2008. Les principales raisons invoquées par les industriels sont l’arrachage des cannes à sucre en Inde (un des premiers producteurs mondiaux de cette matière) et les récoltes insuffisantes au Brésil en raison du mauvais temps. On espère une meilleure récolte en 2010, et par conséquent un retour à des prix moins excessifs, car il faut savoir qu’au 1er janvier 2010, les prix s’étaient envolés de 128% par rapport au 1er janvier 2009, avant de s’assagir, en avril, la hausse étant ramenée à 23% sur un an glissant (503 dollars la tonne). Pour le groupe Cosumar la flambée des cours du sucre a cependant été atténuée par les subventions publiques. «Nous avons multiplié les réunions avec le ministère des affaires économiques et générales pour trouver une solution à cette hausse des prix. Au final, nous avons décidé avec le département de tutelle de faire jouer la Caisse de compensation pour maintenir le prix du sucre sur le marché national», explique-t-on auprès du sucrier qui n’en importe pas moins de 60% de la matière première (sucre brut) qu’il raffine notamment dans son usine de Casablanca.

Coton : + 62,75% en un an


"A quelque chose malheur est bon". Face à la flambée du prix du coton à l’international (+62,75%, soit 81 cents/livre latine au 20 avril par rapport à la même période de l’année dernière), les industriels marocains du textile essayent de positiver. «Si les cours du coton sont en hausse, cela veut dire que le marché reprend des couleurs et que la crise est derrière nous. Pour le moment, c’est une bonne information», explique Abdelmoula Ratib, président du groupe éponyme. Mis à part la reprise économique, la hausse des prix du coton s’explique aussi par la voracité des industriels chinois qui achètent les premiers sur le marché pour pouvoir satisfaire leurs besoins et produire le maximum de tissu chez eux.
La hausse des prix de coton ne semble pas déranger outre mesure les textiliens marocains qui sont obligés de l’intégrer dans leurs charges dans un premier temps avant d’en répercuter une partie sur le prix de la marchandise. «Tous les industriels réagissent ainsi», ajoute M.Ratib qui souligne que la flambée des cours de la matière première fait encore plus mal aux industriels lorsqu’elle est conjuguée à l’appréciation du dollar par rapport au dirham.

Bois : + 85% en un an

L’augmentation des prix du bois sur les marchés internationaux (un prix moyen global de 323 dollars/pied planche), si elle est confirmée par les professionnels, est d’ampleur inégale selon les espèces. En effet, les importateurs de bois marocains sondés expliquent que c’est principalement le bois «exotique» ou de luxe qui est le plus concerné. «Le ralentissement de l’activité économique et surtout immobilière à la fin 2008 et au courant de l’année 2009 a contraint les importateurs au déstockage, ce qui a conduit les usines à réduire conséquemment leur production afin de maintenir les prix à un cours raisonnable», analyse un importateur de bois basé à Rabat.
Mais, poursuit-il, la petite reprise constatée vers la fin de l’année dernière et durant les deux premiers mois de 2010 n’a pas été accompagnée d’une augmentation de la production, ce qui a exercé une pression sur les prix. Les importateurs dont l’activité est très liée à l’immobilier s’attendent néanmoins à un tassement de l’évolution des prix du bois d’ici la fin de l’année. Le bois de luxe arrive généralement de Suède et de Côte d’Ivoire et le bois blanc utilisé dans le bâtiment de France et de Roumanie.

Métaux : + 150% pour le fer en 16 mois et + 75% en deux mois pour la ferraille

Les prix des métaux et de la ferraille subissent ces derniers mois de fortes tensions. Les négociations entre aciéristes et miniers risquent de se conclure sur une hausse supplémentaire du prix du minerai de fer qui coûte actuellement près de 100 dollars la tonne contre à peine 40 au début de 2009.
L’industrie du fer et de l’acier représente une production mondiale annuelle de plus de 1,2 milliard de tonnes dont 400 millions de tonnes en Chine. Tout naturellement, la ferraille recyclée en matière première a suivi la même tendance. Adnan Lemdouar explique la hausse de la ferraille dont le prix est passé de 1,60 DH/kg en février dernier à 2,80 DH/kg aujourd’hui, par le phénomène de la spéculation. La consommation, poursuit M. Lamdouar, toujours aussi élevée des pays de l’Asie tels que la Chine et l’Inde, a également aidé à maintenir les prix à de hauts niveaux.

Charbon : + 125% par rapport à 2007, mais moins qu'en 2008

Malgré une augmentation de 125% par rapport aux prix pratiqués en 2007 (40 dollars/tonne), les responsables de l’ONE, qui produit 50% de son électricité à base de charbon, ont poussé un ouf de soulagement depuis fin 2009. Et pour cause, le prix de cette matière première avait atteint un niveau record de 235 dollars/tonne en 2008 avant de retomber à 90 dollars/tonne aujourd’hui. Mais même à ce prix, l’ONE subit de plein fouet les répercussions de cette hausse puisque celle-ci n’est pas prise en charge par la Caisse de compensation. «Le charbon utilisé pour produire l’électricité n’est pas subventionné au Maroc. Ce qui nécessite une gestion au quotidien afin de maintenir les prix à un niveau raisonnable et surtout supportable», indique-t-on auprès de l’ONE. Pour ce faire, les acheteurs de l’office essayent de diversifier au maximum les sources d’achat et le gel des ports de Russie pendant les premiers mois de cette année les a poussés à voir du côté des mines polonaise, américaine ou d’Afrique du Sud.

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