La myopie économique du Monde
Il faut dire qu’en ces temps de débat sur la récession, la dette et les déficits, les résultats économiques de l’Australie apparaissent surréalistes. Le pays n’a pas connu de récession en 2009 grâce à un plan de soutien à l’économie qui a fait passer le budget d’un excédent de 1% en 2008 à un déficit de 4%. Ainsi, son PIB a cru de 2.7% en 2009, quand celui de la zone euro a plongé de 4%. La dette va plafonner à 6% du PIB (oui, 6% !!) et le chômage, après avoir atteint 5.8% en 2009, baisse régulièrement. 86% des Australiens sont optimistes sur l’état de l’économie…

Du coup, la médaille d’or semble méritée. Mais le choix du métal aurait pu faire se poser des questions aux trois journalistes (oui, il en a fallu trois pour écrire ce papier aussi court que manquant de recul). En effet, l’Australie n’est pas tout à fait un pays comme les autres. C’est un des premiers exportateurs mondiaux d’hydrocarbures, de minerais et de pierres précieuses. Il faut savoir que les exportations de matières premières représentaient 20% du PIB en 2008 (contre seulement 10% en 2005). Sans enlever tout mérite aux Australiens, il faut tout de même reconnaître que cela aide…

C’est pour cela qu’il est terrifiant de lire sous la plume de journalistes du Monde un papier manquant tellement de nuance et de perspectives qu’il évoque à peine le rôle des immenses richesses du sous-sol de ce pays (et encore, en le minorant, à tort, comme le montrent ces statistiques). Une simple petite recherche sur Google aurait permis de déceler ce « léger » biais. Mieux, ce document du ministère du commerce montre à quel point l’Australie profite de l’augmentation du prix des matières premières à travers l’augmentation très forte de ses termes de l’échange.

Le bon élève questionne l’anarchie néolibérale
Mais outre la myopie crasse de cet article, Le Monde passe à côté d’une actualité pourtant intéressante. C’est The Economist qui raconte depuis deux semaines les velléités du gouvernement de davantage taxer ces ressources. Le constat est assez simple. Aujourd’hui, les compagnies minières payent une taxe en fonction du volume. Mais l’augmentation formidable du prix des matières premières (sur un an, le prix du fer a augmenté de 190% et le charbon 70%) fait que la charge sur ces compagnies est passée de 34% de leur profit il y a dix ans à seulement 14% sur l’année 2008-09.

Partant du principe que l’immense majorité des actionnaires de Rio Tinto sont étrangers et que donc les profits de cette entreprise australienne ne restent pas sur le territoire national, le gouvernement a donc proposé une nouvelle taxe de 40% sur les profits des entreprises minières. Naturellement, ces dernières font une campagne virulente contre le projet et elles ont annoncé qu’elles suspendaient ou réexaminaient tous les projets en cours. The Economist rapporte même qu’un sondage montrerait qu’une majorité d’Australiens serait opposé à cette nouvelle taxe.

Pourtant, même s’il est vrai que cela représente un changement important dans les conditions d’exploitation des mines, est-il vraiment juste que seulement 14% des profits de l’exploitation minière aillent à la collectivité australienne ? Après tout, il s’agit d’une richesse nationale, qui est, quelque part, la propriété de tous. Les contrats précédents avaient été mal négociés. C’est pourquoi il n’apparaît pas injuste que l’Australie taxe à 40% les profits des entreprises minières exploitant une richesse locale. C’est plutôt le fait  que 86% des profits aillent aux entreprises qui est anormal.

Oui, la situation économique de l’Australie est très bonne, mais cela s’explique en bonne partie par l’immensité de ses richesses naturelles rapportée à sa faible population. Mais ce pays pose aujourd’hui une bonne question sur le partage des richesses nationales.


Samedi 22 Mai 2010
Laurent Pinsolle - Blogueur Associé


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